J'aime tout en elle : ses pulls, ses fossettes, sa façon de se tourner, sa manie de regarder sa montre, ses yeux rieurs, sa frange bien droite. Enfin, en un mot comme en dix : je suis amoureux.

J'entre au "Old Man in The Dark", cette nouvelle taverne irlandaise qui vient d'ouvrir au coin de Quality Street et d'Abbey Road. (J'ouvre une parenthèse : Drôle d'endroit pour un rendez-vous amoureux, je sais. Je referme la parenthèse)

Ici la musique est trop forte et les filles aux seins nues, j'avoue que ça casse un peu le romantisme.

Il doit être midi, midi dix peut-être. Je ne sais pas. J'aime pas regarder les aiguilles du temps. Je me fie à mon instinct temporel.

Dehors,le soleil tape rude et je suis essoufflé d'avoir couru. Je tousse un peu.

À l'intérieur, des volutes de fumées masquent un peu le visage des gens. Une odeur âcre de tabac que l'on chique et le tintement de verres que l'on cogne sans ménagement.

Je m'approche à tâtons du zinc. Un gars hirsute, mal habillé, me dit, d'une voix rocailleuse qui transpire l'accent du Middle-Ouest et l'alcool du Haut-Doubs :

- Eh ! Gérard ! T'as encore raté Jane ! Elle était là, y'a environ une dizaine de minutes ! Il sourit laissant apparaître des dents noirâtres couvertes de goudron de nicotine.

Les gens rient.

C'est fou ce que les gens sont rieurs, dans cette région !

Je ne comprends pas. pourquoi ils continuent à rire.

Il est midi quinze à la pendule d'argent, celle qui ronronne dans la taverne qui dit oui qui dit non, qui dit : je t attends.

Je les regarde. Ces types ne rêvent plus. Je crache par terre, comme ça se fait ici, et je lance un juron en inuktitut. Ils ne l'ont pas volé celui-là !

Je sors bras dessus bras dessous avec ma solitude.

(Texte proposé pour la 16ème semaine de Coïtus Impromptus, thème :Un mercredi midi à la taverne du coin )[1]

Un mercredi midi à la taverne du coin

Le temps s'effiloche comme la mousse d'une brune éventée, inexorablement, indifférent au brouhaha alentour, mes certitudes éclatent au même rythme que les bulles.

Je me croyais fort, je l'étais. Jamais on ne me cherchait après avoir croisé mon regard. À force de n'en croiser aucun je ne vis plus personne. Je me croyais fort, j'étais juste plus haut.

Je me croyais chanceux, je l'étais. Les dés me faisaient les yeux doux, même pipés, même lancés par des dockers gras de vices et de sueur. À force de glisser ces billets dans ma ceinture je longeais les quais désormais sans âme qui joue. Je me croyais chanceux, j'ai juste laissé passer ma chance.

Je me croyais beau, je l'étais. Jamais une femme ne passait me voir sans envie de me revoir. À force de les voir me regarder je ne les vis plus. Je me croyais beau, j'étais juste un miroir.

Je suis Hirsute. Et je ris du malheur des hommes.[2]

Pas le temps, le temps qui me court derrière et qui me rattrapera, il n’est plus midi ce mercredi après midi, et je ne parviens plus à courir, le temps est sur mes talons et il gagne du terrain, j’arrive, j’arrive enfin.

Dans le bar du coin, drôle d’endroit pour un rendez-vous, mais il m’amuse, les cigarettes se consument, et moi je fonds sous la course du temps qui vient de s’arrêter… Il n’est pas là, le temps perdu, je suis vaincue.[3]

NB : Qui m'écrit d'autres versions de cette scénette ? (Celle du patron de la Taverne, celle d'un(e) habitué(e), d'un type ivre, d'un représentant de commerce qui louche, etc.) ?

Notes

[1] La vision de Gérard par Obni

[2] La vision de Hirsute par jf

[3] La vision de Jane par Luciole