Il attendait. Il l’attendait. Elle n’était toujours pas là. Dans sa tête, il égraina quelques arpèges, joua un air de bossa-nova qu’il avait composé, fit vibrer quelques cordes, replaça son capodastre, ajusta la corde de ré, développa quelques harmoniques, plaqua sous ses doigts un accord fa dièse septième diminuée. Soupir.

Un gars à droite, un diapason à la main, le fit tinter. L'instrumentiste revint dans le monde des réalités absentes.

Absente. Elle, n’était pas là, ni son sourire, ni son visage tout rond. Elle n’était pas là. Ma mie.

Le chef d’orchestre fit renaître le silence. Les chuchotis s'estompèrent. La baguette s'éleva, lentement, majestueusement. Les poumons se remplirent. Un ange passa. Tous les yeux fixèrent le bout de bois qui était suspendu dans l'air.

Attention : 3, 4.

Soudain, la porte s’ouvrit et son visage apparut. Presto. Alleluia staccato.

Il dut continuer pour ne pas perdre le rythme, puis quand vint le solo de guitare qu’elle aimait tant… Leurs yeux se croisèrent, et son instrument parla pour lui.

Texte écrit pour Coïtus Impromptus V2[1]

On eut dit qu'il était devenu la guitare où l'inverse ... Ses cordes vocales, sur lesquelles couraient ses doigts, sa cage thoracique devenue cage de résonance, sa table d'harmonie parce qu'Elle était là comme elle l'avait promis.

Les notes coulaient des cordes pincées dans un murmure tendre et terriblement véloce, car les mots se bousculaient dans son coeur autant que les phrases du solo qu'il ne jouait en secret que pour Elle. Au passage le plus périlleux et le plus beau, il la vit fermer les yeux comme lorsqu'il la tenait en extase dans ses bras.

Dans cette assemblée un peu compassée de mélomanes, ils faisaient l'amour en public sans que quiconque ne s'en doute. Elle sentait ses doigts l'effleurer comme les cordes de la guitare, et il retrouvait dans son instrument les hanches épanouies de celle à laquelle il n'avait jamais cessé de penser une seule seconde.

Dans cette brève petite mort musicale, ils ne s'étaient jamais sentis plus unis.[2]

Plus elle la regardait, extatique les yeux mi-clos, moins elle comprenait sa soeur. Obligée de l'accompagner à ce concert sa religion était faite, sa soeur s'ennuie au lit! C'était là une punition qu'elle s'infligeait, ou pire, dans un accès de romantisme suranné, elle s'imaginait portugaise et lettrée, en pâmoison sur une chaise inconfortable… C'est sûr elle n'a pas connu la puissance d'un rif d'Hendrix comme un coup de rein d'un amant puissant, la sensualité ondulante de la voix de Nina Simone sur des baisers prenants, la tendresse avide d'immenses mains comme les mots chaloupés de Bob Marley…

Le vertige la fait se redresser, l'urgence la soulève presque, les mots lui echappent comme un cheval qui s'emballe, claquent comme un fouet dans le silence empesé.

- Allez viens grande soeur on se casse ![3]

Qui d'autre pour une variation sur le même thème ?

Notes

[1] obni

[2] Richard

[3] jf