Le printemps est là. C'est, dit-on, la saison de la renaissance, de l'émergence de la sève, du bourgeonnement des idées, du nettoyage des rêves engourdis. Une année comme un bébé qui couine.

Roland se promène, s'assoit sur un banc et laisse divaguer son regard.

60 ans de lutte des classes.

Il ne supporte pas l'injustice et la précarité des uns et des autres.

Un gars à l'autre bout de la place, un cœur rouge à la main sur un morceau d'emballage, demande l'aumône aux automobilistes, qui ne le regardent pas ou détournent les yeux. Ce n'est pas qu'il a de la pudeur, l'homme au cœur en carton, mais il baisse les yeux.

Plus loin, un type joue du violon à un autre feu rouge. Il interprète "Aux marches du Palais", une vieille mélodie que Roland connaît bien. C'est sur ce morceau qu'il a rencontré Minette, sa femme, morte, il y a trois ans, d'un cancer du sein. Sa vie, maintenant… n'est que de peu de choses.

Un bruit d'ailes qui palpitent le ramène à la réalité.

Une colombe picore des miettes de pain.

Au loin, un gars en uniforme, une croix rouge en bandeau sur le bras, se précipite à la vue de l'oiseau.

- Écartez-vous ! hurle-t-il

- Ne la touchez pas !

Roland comprend que l'oiseau va y passer. La grippe aviaire frappe une personne sur trois de nos jours et le moindre oisillon est exterminé par la Compagnie Républicaine de Santé.

Une voisine de banc discute du dernier reportage vu à la télévision. Elle s'effraye des gars en uniforme blanc. Leur masque à gaz, leur chaussure à clous, leurs épaulettes… leur fusil.

- Le miel de la vie, lui dit-il, soudain interrogateur… Il regarde la frêle colombe.

Un coup de feu claque.

Roland regarde sa chemise. Une tâche rouge. L'oiseau s'en est allé. Minette lui sourit.