Je marche maladroitement. Titube un peu. Je guette le moindre bruit. Rien.

Un craquement de bois sec puis rien. Encore rien.

Ai-je entendu un ricanement étouffé ? Non. Peut-être. Sans doute. Sais pas.

J'ai froid aux pieds. J'ai les mains qui tremblent un peu. Le sol de marbre me glace le sang. Je grelotte.

Je pousse la porte. Devant moi, un escalier en colimaçon. Je descends quelques marches. J'ai l'impression d'arriver aux enfers. Il fait chaud. Maintenant. Ça me fait du bien. J'arrive dans une pièce faiblement éclairée. Mais d'où venait cette lumière tout à l'heure ? Et ce tic tac…

Devant mes yeux : une paillasse de bois noir, un chaudron encore fumant, des ustensiles de découpe, un pilon, un alambic et une hache ensanglantée dont la lame semble avoir égorgé un bœuf… Ou un homme… Ou un elfe… Enfin… J'imagine… Une sonnerie… Crispante… Diabolique.

Je regarde sur ma gauche. Un billot. Mais que fout un billot dans cette pièce ? C'est surréaliste. Non ? C'est vrai… Ce n'est pas surréaliste, c'est diabolique. Diabolique ? Mais qu'est-ce que je raconte ?

Au pied de l'engin, en grand nombre : quelques cheveux couleur geai, des rognures d'ongles vernis, une oreille de chat, une queue d'animal, des raclures de peau, une corne épointée, une substance verte ressemblant à de la viande hachée, un œil de verre, une coupelle pleine de lombrics qui gigotent… Ça sent aigre.

Un bruit. Je plonge sous la table.

Une femme hirsute, très sale, les yeux comme des braises, entre dans la pièce suivi d'une gnome pustuleux. Ils arrivent je ne sais trop d'où. Le type est une offense à Quasimodo tant il est laid. On dirait mon boucher, mais en plus laid ! La femme ressemble vaguement à la concierge du bâtiment F3. Vous savez celle qui a dit que les horodateurs c'est un truc bien pour notre rue… Vous savez à qui je fais allusion ou je dois préciser ?

Le monstre éructe quelques grognements.

- Je t'ai préparé un petit repas d'amoureux, ma boursouflure adorée !

Sa langue pend.

- C'est mignon, mon chéri. (Elle lui embrasse une sorte de phlegmon qui pointe élégamment sur ce qui lui sert de nez… D'un baiser glaireux … Ça fait le même bruit qu'une ventouse qui débouche un évier)

- Juste quelques restes… Mamour… Quelques restes de ta vie. (Il éclate de rire)

- Je vois que tu as pensé à l'œil de mon père ! Tu es vraiment adorable ! Et ce sont les cheveux de Josiane ? Ils n'ont pas souffert j'espère ?

- Les cheveux n'ont pas souffert ! Ils sont nickel !

- Hé ho ! Tu n'as pas entendu le réveil ? Hé ho ! Tu m'entends ! Serge ! Tu M'ENTENDS ? Bordel ! Tu m'entends !! Tu m'ent…

- QUOI ! Quoi donc ma boursouflure d'amour ! Mon phlegmon chéri ! Heu… Quelle heure est-il ? On est où ? C'est quand qu'on se couche ?

- Bon, Serge ! Tu arrêtes tes conneries et tu t'habilles ! Allez ! Démarre un peu ! M'en va t'préparer un café serré ! Pour t'décoincer les naseaux ! Cré nom d'bonsoir !

Et clac ! Elle lui tend alors une sorte de brouet dans lequel surnagent des cheveux, un œil à moitié éventré, des copeaux d'ongles et une sorte de quenouillette duveteuse. Il adore son sourire niais et ses dents cramoisies.

Texte écrit pour les Impromptus Littéraires