Vous ne le savez peut-être pas mais j'ai la passion photographe. Du coup, j'en ai amassées au fil des années des quantités assez invraisemblables. Il y en a pour tous les goûts : des floues, des ratées, des yeux rouges, des mal cadrées, des trop exposées, des superflues, des grotesques, des mal fichues et quelques autres.

Une d'entre elles me comble de bonheur et attise en moi les petits pincements au cœur, de ceux qui ne proviennent pas de problèmes coronariens. Vous voyez ce que je veux dire ? Non ? Laissez moi alors vous en parler un peu plus précisément.

Celle qui m'émeut beaucoup, c'est un des clichés pris l'année de mes quatorze ans.

Je la regarde en ce moment même. J'ai recensé 9412 photos à ce jour et voilà que je m'arrête sur celle-ci. Le hasard sans doute.

Qu'y vois-je ? Des choses sas doute insignifiantes pour beaucoup. Des objets d'un autre temps pré-sms-itique, pré-câblitique, datant d'un autre siècle.

On y trouve deux personnages : ma sœur et moi. Nous sommes dans une pièce assez large qui laisse deviner une chambre plus loin. J'y vois une penderie, que je possède encore et qui me sert à entreposer des tas d'objets hétéroclites. Mon bras gauche et le bras droit de ma sœur sont posés sur un téléviseur dont l'image noire et blanche présente une mire. Cette image fixe est très symétrique. Au centre, un cheval qui se cabre, l'inscription ORTF au dessus, sur les côtés des damiers, et des cercles dans les coins. Sur ce téléviseur un petit bateau à voiles, une statuette représentant la Tour Eiffel et une poterie comme on en confectionne lorsque l'on est enfant pour la fête des mères.

Au dessus , un tableau sur le mur. En fait une image que l'on avait encadrée. Elle représente un paysage marin avec une maison en premier plan. Plus bas, une plante verte. Les deux personnages sont vêtus en habits du dimanche. Nous arborons assez fièrement une couronne comme si nous avions tiré les rois. La tapisserie est très kitch avec des motifs en forme de plumes.

Derrière, on aperçoit une bibliothèque encastrée dans une alvéole du mur. Des tas de bouquins sur les nombreuses étagères. Un réveil. Une serre-livres.

En premier plan du cliché, très flou, le goulot d'une bouteille de soda. Non que nous buvions du soda tout le temps, mais les parents à cette époque-là les conservaient parce qu'elles se bouchaient bien.

Je suis assez malingre sur le cliché, j'arbore une chemise blanche romantique. Je regarde fixement le photographe. Un sourire énigmatique et mélancolique s'estompe sur mon visage. Ma sœur plus âgée, est vêtue d'une jolie robe, elle porte une ceinture dorée et une rose près du col. Elle sourit plus largement.

Nous sommes heureux.

En définitive, ces photos floues, ratées, aux yeux rouges, mal cadrées, trop exposées, grotesques, mal fichues ne sont jamais superflues. Elles gardent en elles des émotions fugaces, des moments vécus. Elles figent le temps et que c'est bon !