La pièce était calme, trop calme, pour engager une conversation ou développer une pensée. Puisque c'était ainsi nous déciderions de nous amuser sans arrière-pensées. Nous serions au programme ce soir. Au théâtre ce soir. Parlerions-nous enfin ?

En coulisse, Mona me dira : "Et si je sortais ma clarinette ? Est-ce que tu m'accompagnerais avec ton instrument pour la répétition ?" puis elle ajoutera "Avant de penser à la tonalité, j'aimerais que tu ailles me chercher le diapason. Le diapason et l'édredon de Didon." La pièce était calme.

- Nous jouerons à l'unisson, à l'unique son ! Tu as les clefs, comment dire ? Rutilantes!

- A capella ! Stretto et cantabile ! Je veux que cela ressemble à des bandas ! Pour débander le stress ! Tel un arc qui s'assouplit.

- Cantabile pour une question de foi en soi, comme d'habitude ?

- En soie ? Deux fois quatre… Ce sera donc du 2/4… Dès le début ! Calme ?

- Un rythme à deux temps pour un duo… C'est bien trouvé ! Beau début de concert !

- Ce sera du mano à mano, du tempéré, du vibrato, du rubato et pour finir un fortissimo forteresse !

- Je prends ! dit-elle en souriant et en faisant glisser une main sur l'instrument d'ébène et de palissandre. La tessiture voluptueuse de son instrument la rendait immortelle. Elle se métamorphosait en sybarite évanescente. Il portait haut les tessitures. S'engager dans l'idée.

Non ! La pièce ne serait plus calme… C'est sûr maintenant ! Une tempête de conversations entre deux instruments de musique, une magie qui développerait une harmonie, de subtiles caresses des doigts sur le corps du bas, des sons venant du bec, une frénésie de cordes vocales sur le barillet, puis l'anche qu'elle pincerait du bout des lèvres, enfin détendues. La ligature serait chez elle une explosion de liberté. Le roseau de canne qu'elle humidifierait avec un plaisir gourmand, la rendant désirable et troublante. Elle serait experte en pression d'air, en souplesse du bois, en cambrure. Elle saurait mieux que quiconque utiliser le barillet pour allonger son instrument. Les corps de la main droite et de la main gauche s'écarteraient dans un soupir prometteur. Technique d'embouchure parfaitement maîtrisée !

Un tutti avec un chœur gros comme ça !

La pièce serait en Do Majeur. En dos à dos, annulaire contre majeur, amulette comme moteur. Ce serait un triomphe pour elle et pour lui. La salle exulterait maintenant. On entendrait tousser un gars, une fille mangerait du pop-corn au caramel et le groupe d'enfants à côté du gendarme commencerait à réclamer des sucreries… Dans un moment ce seraient encore et toujours des boissons puis une envie d'aller aux toilettes. Un rituel d'enfants. Tout ceci après le calme, l'absence de paroles et les ondes partagées avec le public. Et la grand-mère qui regarderait un barbu mélomane et qui dirait : "Ils sont mignons à cet âge là !"

Et c'est ainsi.

De suites bien tempérées en fugues inachevées, de hip hip hip en hourra ! Taureaux qui cherchent le rouge qui frémit, et qui ondule ! La musique comme une liqueur. Comme un canon qui s'apprécie à la qualité de sa robe, aux arômes qu'elle dégage, au musc, au parfum de fruits rouges… Do rouge, ré vert, mi jaune, fa violet, soleil bémol, l'amour dièse, si beau, dormance en clef d'ut, en clef de voûte : syllepse blanche et noire.

Écrire une partition musicale sur un site littéraire avec des mots à la place des maux ? Littéralement possible si le répertoire appartient à la musique de chambre, pas à celle de décembre qui descend, ni au sel des cendres. Non ! À celle de début Juin, à celle du violon-selle, pour chevaucher les oiseaux de feu qui piaillent, les nuages qui s'éclipsent en ellipses. À l'aube le vin est maintenu à température. Passion de deux duettistes proportionnelle à l'hypnose sensuelle qui suinte de hanches qui s'accordent, et rythment le sacre du printemps.