Vision d'une sorte de marée brunâtre qui -masquée depuis longtemps- apparaîtrait désormais au grand jour. Un carnaval de mauvais goût. Une quadrature du cercle sous forme de maladie du crabe qui toucherait la raison et le rêve . Des morceaux en forme de gomme qu'aurait composé un musicien cynique et passéiste.

Cauchemar?

Le plus dramatique dans tout ça, c'est qu'à un certain moment, les êtres subissent une transformation. Pas tous heureusement, mais en assez grand nombre tout de même pour former des hordes soumises et bien alignées.

Cette transformation est lente au début puis de plus en plus rapide comme un emballement d'insectes qui sortiraient des égoûts.

D'abord, ces troupeaux aiment le mazout, la graisse de porc crue et les sigles apocryphes. Puis leurs visages se changent en dedans, et leurs synapses -endommagées- se métastasent avec précision et rigueur religieuse.

Ils attaquent en premier le lobe frontal, puis les zones encéphaliques du siège de la raison.

Enfin, des gens venus de nulle part se transforment... des moustaches poussent, le teint devient grisâtre, le nez se profile, une queue filiforme pousse... les yeux deviennent mesquins.

Ils se ratifient en perdant leur humanophonie. On en voit qui sifflent, qui piétinent plus qu'ils ne marchent, qui éructent plus qu'ils ne parlent.

Déjà, dans les rues, j'observe des petites bandes de lapins blancs en ordre de bataille, disciplinés, bousculant les petits monticules de terre, rythmant leur pas au son de grelots tintinnabulants en invoquant des légendes du Monde de la nuit.

J'entends des slogans assourdis dans une langue inconnue de moi, des hymnes, des imprécations, des chansons loftiennes. J'observe des attitudes prognathes. Je remarque aussi que certains brandissent des étendards qui puent le camphre. J' en ai de la nausée.

Demi-sommeil encore?

Je croise un gars qui hurle dans un mégaphone :

- Mon arme est un petit bout de papier ! Mon arme est en papier ! Mon arme c'est du papier-tue !

Et il part à grandes foulées graciles, en remuant la queue et en dressant ses deux petites oreilles... comme si ce qu'il avait dit devait être entendu par le vent... histoire que ça se propage plus vite.

- Bizarre !

Temps variable - 23h00 (heure du bocal) - rêveur

Je me promène le long du rivage. J'observe.

J'observe la marée liliputienne et le phare qui brille comme une étoile dans la nuit.

Une fine lumière irradie la rade -comme qui dirait mon plombier, amateur de contrepéteries en tout genre

Il y a pas mal de monde : des gens qui roulent sur des planches molles, d'autres qui se cassent la figure parce qu'ils chaussent des espadrilles avec semelle à roulettes ou qui promènent leur chat andalou en lui lançant au loin des objets que l'animal est censé rapporter au pied.

Il y a aussi des bas du dos... ces personnes espiègles de petites tailles à allure vaguement bonhomme. Un peu sexy.

Au loin, un attroupement. Des sons musqués. Des éclats de rires jonchent le sol diésé et sablonneux.

Je m''approche à tatons.... et découvre des musiciens africains qui jouent -avec rythme et plat de la main- du Mozart sur des peaux tendues comme ils le feraient en tambourinant l'eau de mer pour lui apprendre la vraie musique des hommes.

Un rire déchire la mélodie percutatoire. Un rire sous forme de 3 croches et d'une ronde pointée, repris en fugue par quelques personnes qui s'en vont. Je montre du doigt une personne opulente un peu lente.

Un rire avec rime ronde et riche à l'hémistiche. Un rire stylistiquement rimbaldien et hémisphérique.

Un truc très fin, complexe pour qui souhaite le reproduire dans un écrit (j'éprouve pas mal de difficultés à vous le décrire dans toute sa subtilité)

Dans un élan de fulgurance je me demande alors si je ne suis pas un peu sot d'avoir sellé mon cheval de bataille en pensant que l'heure était venue de crier longuement dans la nuit.

Surtout qu'en la circonstance, il s'agit d'une longue mélopée.... à base d'imitations de chauve-souris au moment du sevrage du petit.

En plus, il faut bien imaginer que lorsque la femelle gratte nerveusement son nid, le bruit qu'elle engendre rappelle un peu une trompette du cygne qui se rebiquerait en prenant la forme d'un vague vagissementt en queue de nouille.

Silence soudain.

Je suis manifestement attiré par le reflet argenté de l'eau...

Le rayon lunaire semble me dire :

-Mon sourire est resté accroché à vos entourloupes,
Mon nombril aussi !

Je réalise alors que je viens sans doute de découvrir l'indécouvrable, l'indicible. Ce qui ne peut être compris que par des fous ou des rêveurs.

La Lune parle !!

Si on la regarde dans le reflet !

En plus elle aurait un nombril.... Serait-ce le fameux nombril delphique du monde ?

Quelle tromperie ! C'est la Lune qui est le nombril du Monde ! Et pas la Terre ! Ouarf !

- Mais pourquoi ? me dit-elle Pourquoi une telle entourloupe ?

Une petite voix -comme un grelot- agite l'air et dit :

Une entourloupe c'est une chaloupe qui entoure l'imagination lorsqu'elle est captive du rêve.

Je suis médusé, homme-grenouillisé, thonifié, hareng saurisé.

- Et si cela pouvait-être vrai ! J'entourlouperais bien mes amis, ma famille, ma tribu pour qu'ils puissent échapper à certaines visions des froids.