En franchissant le Millenium Bridge, je ne me doutais pas de ce qui allait m'arriver en entrant dans Le Centre International Shakespeare non loin de la Cathédrale St. Paul près des rives de la Tamise.

Faut dire que l'atmosphère était humide et que j'avais pris soin le matin de ne pas me raser pour ressembler à Léo Listborn, un poète méconnu, sauf de ma voisine de palier, une fofolle qui claque les portes, engueule son infirmière et descend relever son courrier en pantoufles en peau de panthère.

Après avoir franchi la porte du musée, un type avec un chapeau mou me dévisage et me demande assez brutalement mes papiers. Son accent est finnois.

Je ne les avais pas sur moi. À l'inspiration, je commence à lui raconter l'allégorie de la caverne de Platon, histoire de lui montrer que je connais mes classiques.

Lui interprète ça comme une insulte, s'imaginant sans doute que je file la métaphore jusqu'à croire qu'il a des ancêtres qui ont trafiqué durant la guerre froide avec un autre poète inconnu dont je ne me souviens plus du nom, tant il est peu présent dans les manuels scolaires.

Comme je sens que toute cette salade va tourner au vinaigre, je regarde à droite et à gauche,et je vois le masque dans la vitrine. Le masque que j'ai photographié juste au dessus de ce texte, si vous me suivez bien.

Un masque doré magnifique de l'époque du dramaturge britannique. Du genre Toutankamon mais sans la barbichette et le foulard rayé sur la tête. Donc un masque pas du tout égyptien, ni maya, ni même franc-comtois.

Je regarde le masque. Le gars fait de même. Du coup, je regarde le type qui regarde le masque.

Le masque ouvre les yeux et un visage apparaît dans la vitrine. Une sorte de photographie ancienne représentant un jeune homme. On dirait Arthur Rimbaud qui aurait été démasqué par Bernardo le serviteur muet de Zorro.

Pris d'un hoquet, crachotant et sifflant du nez, le vigile finnois me chasse alors prétextant que je ne pouvais pas être Arthur Rimbaud ! Les spectateurs applaudissent. La salle est pleine. Une vieille dame avec des dentelles de Calais en guise de jumelles explose de rires. Du sang ruisselle sur Arthur, sur le tousseur et sur une gamine en robe rouge que je place ici par défi..

Je sors précipitamment en renversant au passage Vladimir Jankelevitch qui fantômait par là, et deux types en blouse blanche me demandent de les suivre pour me ramener à la Tour de Londres.