Lorsque nous arrivons, elle regarde simplement le mur. Dans le vague. Une patiente m'interpelle : "Qui vous êtes vous ?". C'est le rituel pour Geneviève.

Je lui réponds et je me présente à ma mère. Assise. Elle me regarde sans me voir.

Je lui dis : "Bonjour maman"

Elle me sourit et reprend une posture désincarnée.

Je propose un tour dans le jardin. Elle ne réagit pas. L'aide soignante me dit qu'il faut maintenant que je me présente face à elle, que je lui prenne les mains et que je la conduise ainsi. C'est très difficile car elle est vraiment vacillante. Elle l'était moins il y a quelques temps.

Dans la jardin, il fait beau. Il y a des bancs, des oiseaux et de petites fleurs. Quelques personnes passent. Vont et viennent.

Nous marchons un peu. Elle est très hésitante mais tient bon. Je lui ai pris le bras.

Alors je lui parle. De tout, de rien. Je précise la saison, le nom de certaines fleurs, des événements de notre quotidien, de la Franche Comté, du jardin, des arbres, des confitures, des enfants, de la mer, des oiseaux. Tiens il y a en a un qui est perché sur un muret. C'est amusant. Elle sourit.

Elle ne reconnait plus rien : ni qui je suis, ni quoique ce soit. Elle égraine des mots sans aucun sens et ostensiblement défait les boutons de sa veste. Elle fait cela tout le temps.

Elle ne sait plus rien de sa vie, de son monde, de son histoire.

Parfois quand je lui demande si elle connait mon prénom… Elle ne dit rien… Je lui dis qui je suis alors elle parait soucieuse et dit "Ce n'est pas bien… Ce n'est pas bien" Puis retrouve le vague dans ses yeux.

À un moment, je demande : "Tu as un beau pantalon. Mais de quelle couleur est-il donc ? J'ai un peu de mal avec ça… "

Elle répond sans hésitation : "Il est bleu"

Une grande joie m'envahit, une tristesse de joie comme de petites perles de pluie sur une feuille effilée.

Elle a fait un lien avec la réalité.