Hier, un repas des familles a été organisé.

Quand je suis arrivé, des tables avaient été préparées avec de jolies décorations sur des nappes blanches. Les organisateurs avaient aussi disposé des ballons de foot, des banderoles colorées, des fleurs en papier mâché, des guirlandes.

Les infirmières, les aides-soignantes, l'administration étaient en habits de fête.

J'ai cherché des yeux ma mère. Je ne l'ai pas vue. Il y avait déjà pas mal de monde attablé.

J'ai alors été dans sa chambre pour voir si elle y était. Elle se déplace maintenant en fauteuil et se trouve presque toujours en état de somnolence quand je la vois.

Personne dans la chambre. Lit fait.

Dans l'atrium/salle de restauration je suis allé voir une infirmière qui m'a alors indiqué le fauteuil roulant où elle se trouvait et la table où je devais me rendre.

Elle était bien éveillée, regardait ici et là.

Lorsque je me suis approché, je lui ai parlé et elle m'a regardé. Sans vraiment me voir. Mais cela a suffi à mon bonheur.

Le repas a commencé. Il y avait un pichet de vin, un apéritif avec du rhum puis une salade composée avec des petits bouts d'avocats, de pommes, d'orange… Ensuite vint un plat épicé avec des gombos et du poisson, puis un bout de morbier et un mystère glacé.

À notre table, une famille complète : le grand-père qui était atteint par la maladie d'Alzheimer mais à un stade précoce, le petit-fils, le fils, la fille et le gendre. Je ne les avais jamais vus mais nous avons échangé quelques propos. Je faisais manger ma mère avec une petite cuillère tout en continuant mon propre repas.

Quand le repas fut presque fini, une musique entraînante se fit entendre et quatre danseuses brésiliennes apparurent. Tous les appareils photos se sont alors pointés vers les filles peu habillées et très colorées, et les mains se sont levées au rythme des danses.

À cet instant, ma mère qui habituellement bouge sa main de façon aléatoire mais toujours en mouvement, s'est mise à rythmer la musique avec la paume de sa main. C'était tout à fait synchro.

Je n'en croyais pas mes yeux.

Elle a même parlé un peu, en échangeant quelques mots. Les danseuses sont ensuite passées de table en table et à nouveau des tas de photos ont été prises. J'ai même été photographié avec ces 4 filles à moitié nues… Et les aides-soignantes qui me connaissaient ont lancé "Ah ! Obni ! Photo compromettante !". J'ai ri. Ma mère, elle, était ailleurs mais au milieu du cliché.

Plus tard, nous nous sommes baladés dans le parc. Je me suis trouvé une chaise et nous sommes restés comme ça. Immobiles. Le nez en l'air.

Savoir apprécier le vent sur nos visages. Le bruit des oiseaux et des cigales. Ma mère fermait les yeux et semblait dormir ou surfer sur des souvenirs irréels.

Je me suis dit que sa vie méritait encore d'être vécue. Ces derniers temps cette question a été obsédante pour moi.

L'après-midi s'est terminée. Un espoir. On m'a même dit que le kiné avait réussi à lui faire parcourir quelques pas depuis 2 jours…

De retour à la maison, j'ai pris une feuille blanche et j'ai écrit à l'établissement pour leur témoigner ma joie d'avoir un peu retrouvé ma mère. De lui avoir rendu une identité vitale.

Ce sont des mots qu'il faut savoir partager. Ces personnes dévouées au quotidien méritent vraiment cet hommage que je leur rends aujourd'hui par ce texte un peu à l'emporte-pièce. Mais vécu.

C'est important d'écrire.