Toi, la lyonnaise, nous t'imaginons décrire ta ville avec passion. Fredonner une ritournelle de l'entre-guerre. Expliquer une façade. Pointer du menton une rue. Respirer des yeux l'odeur des quais.

- Ma mer c'est le Rhône, expliquais-tu, Vous comprenez ?

Non, nous ne comprenions pas.

Cela me faisait sourire… pffff… la mer, c'est autre chose… c'est de l'iode, des poissons que l'on vend sur les étals des poitus, des plongeons de la falaise, des oursins, des violets, des girelles et des îles que l'on admire le long de la Corniche !

Bah ! Je ne savais pas, je n'avais pas fait l'effort de comprendre, je n'avais pas visité.

Et puis… le temps s'est éloigné.

Tu n'es plus, et mille regrets m'envahissent.

Nous te retrouvons face à Fourvière, découvrant le paysage sous nos pieds, nous montrant le Parc de la Tête d'Or, ou nous faisant imaginer les Alpes… au loin… très loin… trop loin pour n'être pas qu'un point imaginaire… ou un nuage en forme de Mont Blanc.

Tu étais fière de cette ville. De ta ville. Toi qui n'est plus que poussière… et souvenirs dans notre âme.

Fourvière, l'imposante cathédrale où à l'intérieur, à ma plus grande surprise, surgit Nafpaktos, la Lépante d'autrefois. Cette ville où Cervantés est omniprésent… Cette ville que nous avons visitée… le petit port… les remparts… les canons pointés… et le soleil de plomb.

Curieuses coïncidences. D'abord la Grèce, puis cette bâtisse comme Notre Dame de la Garde qui se voit de partout… des lumignons qui éclairent les visages des gens qui se recueillent. J'écoute les pas, le crissement d'une porte de bois… Je pense à ton entêtement, à tes quintes de toux, à ces petits pas sur le gravier, à ton allure fragile… que seul ton regard renforçait. Regard bleu acier comme le ciel qui était absent de ta vie. Vie assurément remplie de vides de souvenirs de guerre, d'époux artiste au cœur de pierre, d'enfant au destin que l'on n'imagine pas, d'une rivière qui n'était pas marine, de maison trop sombre et de rubans de couleurs.

Je t'imagine rire à nos côtés en ce repas de midi, où nous rendant dans un petit bouchon nous découvrons porte-close… et nous nous décidons pour le restaurant d'en face… pour y apprécier de gourmandes salades à l'andouillette… et la gentillesses des serveurs… le calme de la jeunesse… la beauté d'une fille enceinte… un enfant d'ici qui aimera son fleuve à en mourir d'ennui si d'aventure il s'en éloigne.

Belle journée…

Pour finir, j'ai envie de parler de deux autres petits plaisirs, dans cette journée ensoleillée.

D'abord, mon étonnement de voir un métro bien entretenu, aux sièges rembourés, non tagués… comme si, ici, les gens respectaient leur vie collective. Un métro automatique, des portillons qui glissent… une voix douce qui annonce les stations pour que les aveugles puissent se repérer… des emplacements sur le quai indiquant où se trouveront les portes de la rame.

Un métro à saveur humaine. Mais l'automatisme m'effraye. Où seront les hommes dans 10 ans ?

Ensuite, ces impressions de quiétude à la Librairie Decitre avec des vendeurs qui écoutent… Qui conseillent… Qui osent le sourire… La Place Bellecour, la statue de Louis XIV sur un destrier, qui fait de l'ombre à de jeunes assis sur le sol ocre, qui jouent sur leur guitare des morceaux de Bob Dylan… Une exposition de sculptures contemporaines… L'immensité du lieu… Des personnes près des points d'eau… Des enfants qui jouent… Des filles avec des oreilles de lapin rose et bleu…