Quelqu'un prendra-t-il la peine de ramasser le petit livre qu'elle a abandonné, hier soir ?
Banc vert, face au Théâtre Montparnasse. Objet proposé à la rue en réecriture d'un jour du destin. Clé duveteuse du hasard. un peu d'encre mauve, esthétisme, charme d'une écriture démodée. Elle soupire. Les yeux mi-clos... Elle imagine des passants, des trois fois rien, des ombres...
Peut-être le Dieu des Petits Matins enverra-t-il un homme usé qui s'assiéra lentement sans rien voir.
Peut-être un couple d'amoureux, touristes perdus dans la ville... livrés au hasard d'un Plan de Paris.. s'y arrêteront. Lui, un peu gauche, observera le livre, et n'osera le prendre en main de peur de le dérober. Par pudeur. Elle, au contraire, le dépliera, et y lira, la petite phrase écrite à l'encre violette. Elle ouvrira alors son minuscule porte-monnaie jaune et laissera sur la banc 5 centimes d'euros bien inutiles. Humble participation. Ils repartiront émus, laissant en offrande les piècettes et ce livre à ne pas prendre. Trop de mystères. Trop de peur.
Peut-être, une jeune étudiante des Beaux-Arts, téléphone portable scotché sur l'oreille, machouillant un chewing-gum sans sucre, l'emportera chez elle, enfoui dans la poche de son jean's. Elle se dira :"Always look on the bright side of life."
Elle l'oubliera.
Le soir... Il ressurgira en roulant sur le sol. Elle s'en étonnera, s'exaspérera puis par jeu, elle le lira d'un trait, avec rage, sans lever le regard une seule fois. A la fin, elle réfléchira puis ajoutera à l'encre bleue son épitaphe de vie, son maquillage à elle, sur la 4ème de couverture.
Elle notera : "Oublions les navigos... Seule la tendresse du moment." Elle pensera à son amoureux.
Plus tard, elle regardera la phrase violette, longtemps... et sourira, en la relisant une fois de plus "Les 833 phrases de ce livre sont un cadeau d'écriture... Prenez du plaisir au partage et abandonnez vos pièces et vos billets comme une offrande pour l'inconnu qui en aura besoin..."
Elle ira Place du Tertre et le déposera sur le trottoir.
