- Dis Vernon, il y a comme un lézard grincheux à côté du Castor, c'est qui? Ce n'est pas un zazou en tout cas !
- Ça s'rait pas l'apache que connaît Jean-Paul ? On m'a parlé d'un existentialiste américain qui joue du saxo à Greenwich Village ! Un type épatant ! Il me semble avoir lu un article sur lui dans le dernier Jazz Hot.
- Ah oui ? Je l'ai vu aussi au Café de Flore, aux Deux Magots et chez Lipp ! Il est partout ce pékin !
- Bah ! Les morts ont tous la même peau ! comme on dit chez moi
- Pourquoi tu dis ça ? T'es jamais sérieux ! Et si on allait au Tabou ?

- Pourquoi cette cave, Boris ? C'est pas bien ici ? Le plus clair de ton temps, tu le passes à l'obscurcir ! On est bien ici ! C'est bath !
- Il paraît que le barman qui est là-bas te verse une goutte d'encre violette dans le whisky et que ça te donne après envie de danser la Java des bombes atomiques !
- Giacommeti m'en a parlé, c'est un truc à te rendre raide !
- C'est la meilleure cave de la Rive Gauche !
- Rive gauche ? Tu veux dire de Saint-Germain-des-Près ! Les gens sans imagination ont besoin que les autres mènent une vie régulière.

Une fille passe comme si elle chaloupait sa vie

- Hé, Juliette ! On s'fait un bebop ? Ici, ça swingue comme un igloo sous la neige ! C'est dire !

La fille le regarde, elle bat un peu des cils et sourit aux deux hommes

Le premier lui dit :

- Le travail c'est l'opium du peuple... Je ne veux pas mourir drogué ! On danse ?

Il rit

Elle lui répond en chantonnant un peu :

- Si tu t'imagines, si tu t'imagines, fillette fillette, si tu t'imagines, Xa va xa va xa, va durer toujours, la saison des za, la saison des za, saison des amours… ce que tu te goures, fillette fillette, ce que tu te goures. Si tu crois petite, si tu crois ah ah, que ton teint de rose, ta taille de guêpe, tes mignons biceps, tes ongles d'émail, ta cuisse de nymphe et ton pied léger… [1]

Notes

[1] Extrait de l'Instant Fatal de Raymond Queneau