Premier jour

Il est peu joueur, il n’aime pas beaucoup quand le hasard guide sa vie… c’est improgrammable, invérifiable et non soumis à une quelconque stratégie.

Couché dans un lit bleu, bleu comme un ciel qui aurait reçu trop de coups, il attend patiemment, un calepin sur les genoux, un crayon en main, l’air songeur.

Que sera demain ? Évidemment, du hasard et de l’improbabilité !

Deuxième jour

Lecture du journal local.

On y lit : “Pour le 14 juillet, choisissez le feu d’artifice de votre cœur”. Ah ! Ces journalistes… Qui écrivent n’importe quoi pour l’estivalier avachi, l’œil torve et l’encéphale embrumé par l’absence de mouvements dans ses synapses.

- Drôle de titre, pense-t-il… Drôle… Non pas drôle du tout… Pathétique plutôt.

Troisième jour

Il va vivre une coronarographie… Il pense à tous ces termes en graphie… Scénographie, sténographie (sténosegraphie ?), monographie, biographie ou encore télégraphie, orthographie (a-ortographie) et calligraphie.

Ici les soignants disent une dilatation (Il imagine une BD d’Iznogoud dont l’intrigue se passerait au Moyen Orient). À propos des soignants et des soignés… Il écrit sur les patients et les impatients…

C’est une expérience comme une autre dans la vie d’un homme, surtout s’il a un crayon à la main et qu’il griffonne quelques croquis ésotériques sur un petit calepin non spiralé.

13h45 :

Transport par un brancardier chauve qui lui dit qu’il va partir en vacances aux Antilles au début du mois prochain. Il se dit une fois de plus, que la profession du gars est bien dans l’ambiance du lieu… Un brancardier… cardier ça sonne un peu comme cardio…. il l’appellerait plus volontiers un brancardio…

Le brancardio rumine dans un rictus de futur vacancier à tongs (celles qui fleurent bon la plage, le monoï et la planche de surf). et chapeau vissé à l’envers sur le crâne (pour éviter les coups de soleil et faire branchouillu)

- Là-bas, la température est toujours constante… Entre 27° et 28 °C… Génial, non ?

- Où ça ? En Guadeloupe ou au bloc ?

Arrivée au bloc opératoire. Un gars hilare se précipite, lui enfile illico presto des chaussons transparents en tissu qui se déchire, en disant ; “Je vais finir par me spécialiser dans la chaussure, moi”

- Vous pouvez vous lever ?

- Oui, bien sûr.

L’hilare préparateur le conduit dans une pièce qui est formée d’une sorte de lit à radioscopie (le lit à baldaquin du médecin), et de multiples moniteurs et accessoires en tout genre. Un peu impressionnant comme décor.

Une pièce protégée par une vitre se trouve là en arrière-plan, on y voit des individus en blouses vertes et parfois masqués (de qui se cachent-ils ?

14h10 :

Le gars qui l’accueille, lui demande de s’allonger sur le lit, en recommandant de bien poser la tête sur le coussinet de bielle. On discute un peu. Le stress le gagne petit à petit (ce qui lui donne un petit air jamaïquain… À cause des tresses)

Quelques brefs instants plus tard, un autre gars venu de nulle part (ou d’ailleurs), à visage découvert, se présente très poliment en précisant qu’il est anesthésiste (tant mieux parce que s’il avait été équarrisseur… Ça aurait cassé l’ambiance). Une minute passe. Le gars lui demande son poids, lui glisse une voie centrale et injecte une sorte de sauce non pimentée mais très efficace. Aucune sensation désagréable. C’est un artiste de la seringue, une sorte de Vladimir Vladimirovich Nabokov de l’aiguille. L’écriviseringué lui indique qu’il est très impressionné (par son cou d’anguille) et qu’il sent monter le stress… (il n’insiste pas sur le jeu de mots jamaïquain car il juge avec lucidité que ce n’est pas le moment pour la grosse rigolade). L’artiste aiguillonné lui répond : “J’ai les moyens de vous endormir s’il le faut… Ne vous inquiétez pas pour ça.…

Il rétorque : “Vous avez aussi les moyens de me faire parler ?”

L’artistonesthésiste rit.

Un autre gars arrive alors… Dans une sorte de combinaison spatiale. Il se présente comme étant le médecin qui va agir.

Il est très doux et dégage une confiance phéromonique. Sort-il d’une termitière ?

À partir de ce moment-là, il va entendre des bruits de tringles comme pour déboucher les siphons, des “ziiipppp”… des “fpouchhhh”, on lui dit : “on va vous placer un champ opératoire (pourquoi ce terme agricole ?) et vous allez sentir comme un liquide très froid”

Effectivement, on le badigeonne copieusement et énergiquement avec un liquide très froid. Jambe droite, aine…

Pendant ce temps-là, l’artistonesthésiste revient et en remet un petit coup dans le cathéter qui est planté dans le bras gauche.

On place sur son visage, un masque à oxygène, genre “Urgences” avec une odeur pas franchement désagréable… évidemment à ce moment-là, son nez le gratte… Et ça commence à l’énerver.

Il s’imagine costumé comme pour un mardi gras…

Il sent alors des trucs s’enfiler par ses artères… Les propos sont très techniques… Et sibyllins pour le profane qu’il est…

Aucune douleur.

Visiblement le fameux “flash” qui fait perdre toute notion au patient, c’est plutôt raté chez lui. Mais, ce n’est pas grave puisque le confort est excellent.

Vers la fin, le médecin qui officie lui annonce : “Très fort rétrécissement de la coronaire trucmuche ! Vous voulez voir ?” (il apprendra par la suite qu’il s’agit de la coronaire qui partage le cœur en 2 parties et qu’elle se nomme artère interventriculaire antérieure).

- Bien sûr !

Il observe alors son cœur en direct, avec les 2 artères coronaires, on lui indique le rétrécissement (très proche du cœur) il annonce : “Faite moi un CD”

L’artistonesthésiste enlève le masque à oxygène (enfin quand je dis à oxygène c’est pour simplifier… parce qu’il ne devait pas y avoir que de l’oxygène, si vous voyez ce que je veux dire)

Il demande s’il est possible qu’on lui en donne une copie aussi (pas du masque… Mais du CD)

- Et une copie, une !

Sympa le médecin, sans doute passionné d’informatique…

15h00 :

Repositionnement sur le lit (celui qui était dans la chambre de la Clinique) et le brancardio dirige le tout en “salle de réveil” (ce n’est pas une salle issue de Peter Pan… Comme il le constatera dans ce qui va suivre…)

15h03 :

Arrivée dans la salle de réveil. Une myriade d’infirmières s’active ici et là… De nombreux lits sont rangés comme si c’était un parking.

Dans le lit d’à côté, une femme dans les vap’… Un peu plus loin, un gars endormi… Question conversation, ça part mal. De toute façon, que dire ?

Mais pourquoi est-il si éveillé ? Lui ?

15h45 :



Retour dans la chambre d’où l’on entend les cigalons chanter et d’où l’on voit les pins qui bougent dans le vent d’été. Impressions de vacances… Certes ratées… Mais de vacances tout de même !

Huitième jour

10h00 :

Levée du pansement compressif sur la fémorale. La marque ressemble à une petite piqûre d’insecte, un peu comme quand on se fait darder par une abeille.

Très étonnant, cette microchirurgie… Les gars sont de vrais artistes !

Neuvième jour

Il va vivre une angioplastie avec pose de stent et irradiation au Phosphore 32.

C’est aussi une expérience comme une autre dans la vie d’un homme (bof)

17h55 :



2 brancardios dont le chauve pré antillais le conduisent au bloc opératoire. La conduite est cette fois-ci plus heurtée, en particuliers aux passages des dos-d’âne.

Arrivée devant un digicode, le chauve tapote en rythme les touches puis le laisse dans un endroit climatisé, genre chambre froide.

Ça l’inquiète un peu… Il sent la morgue qui pointe. Et comme qui dit l’autre : “S’il se sent morgueux, qu’il se couche !”

On lui demande de signer quelques documents puisqu’une partie de l’intervention est un test qu’on réalise actuellement sur un échantillon de 150 patients français. Voilà qu’il est un échantillon. Peut-être va-t-il se retrouver en tube dans les boîtes à lettres du quartier. Un échantillon de dentifrice.

Il s’exécute (le dos au mur)

Le rituel préopératoire -identique à la précédente prestation- s’enclenche (chaussons en papier… Dépose sur l’étal, arrivée de l’artistonesthésiste, fixation du bras gauche qui servira à pratiquer la brachycardie…)

Dans la pièce, plusieurs personnes sont présentes dont une Italienne (sans doute en stage) ce qui donne un côté vacances.

Le bloc opératoire paraît plus vaste, les engins sont un peu identiques (moniteurs, pièce vitrée, instruments etc.), un décor très startrekien mais sans Jim Kirk au commande de l’Enterprise, ni sans T-Pol ou Seven of Nine.

On enferme sa main gauche sous une multitude de straps très serrés ; puis on l’asperge à nouveau d’un tas de produits divers et variés dont un très froid. Il a l’impression que ça anesthésie un peu son poignet, il n”a jamais rêvé d’être un poulet qu’on prépare à passer à la broche. Mais bon.

Sur ce, arrive le médecin qui va pratiquer, on discute du diamètre de la radiale (3 mm).

- Allez ! On y va ! Dit-il, concentré et professionnel

- Ah ? On vous a enlevé le cathéter ? C’est dommage ! Ça aurait évité de vous repiquer !

- C’est pas grave ça… Susurre-t-il… J’ai de la veine ces temps-ci !

Le médecin qui va pratiquer le geste médical réapparaît soudain vêtu d’une combinaison style Aroun Tazieff lors de la visite de la Soufrière à la Guadeloupe (ça rappelle un peu le chauve, cette évocation, non ?) .

Pose du masque à gaz à odeur pas désagréable. L’artistonesthésiste injecte un liquide dans le cathéter et hop ! C’est parti !

La lumière s’estompe… Puis les mêmes bruits de “ziiipppps”

Il sent un peu le bidule filaire qui progresse dans son bras gauche, mais sans inconfort particulier.

Commentaires très techniques… Dilatation de l’artère, positionnement du tortillon qui va diffuser le Phosphore, les médecins semblent très satisfaits de la position de l’engin, ils lancent l’irradiation au Phosphore 32 pendant 4 ou 5 minutes. L’Italienne arrive ensuite pour positionner avec aisance le stent… Ça fleure bon la routine et le geste assuré.

Aucune douleur. Très impressionnant.

On demande si tout va bien. Il dodeline de la tête. Mais ça lui parait maintenant très très long… Il crispe un peu son poignet nerveusement.

L’intervention se termine, on compresse fortement le poignet, on positionne un pansement compressif (qui sera enlevé le lendemain).

Retour en chambre, bicarbonate de sodium dans le cathéter… Pour la nuit, mise sous scope… Et voilà !

Voilà, c’est fait ! Je suis un homme qui possède du ressort et un cœur nucléaire… Et si je postulais pour un voyage vers Mars maintenant qu’il peut fonctionner presque en autonomie ?

Ça serait une iodée intéressante, ça ? Non ? Une iodée ? Et si je mangeais des moules ce soir ? Avec des frites ?

En partant de la Clinique, je note sur le cahier :

“Je remercie de tout cœur (si j’ose dire) l’ensemble du personnel soignant et de service du 2ème étage. Gentillesse et qualités professionnelles ont été une constante durant mon séjour. Merci”

Dixième jour

Je réintègre mes pénates et je prendrais la décision d’ouvrir un blogue, parce que le temps me manque sans doute… Et que je dois écrire et dire des sottises, des balivernes, des trucs de vie, des rêves, des jurons, des mots magiques pour Noël, des historiettes, des castagnettes à écriture, des palindromes, des anagrammes, des Motgraphies et des acrostiches.