Qui a vu Alexis Zorba se souvient de cet homme seul, à moitié ivre, à la tristesse infinie, malhabile, vieux, qui vers la fin du film de Jules Dassin, se met à danser pour évacuer son chagrin. Il étend ses 2 bras comme un horizon et échappe ainsi au monde des hommes. À ce moment-là, il n'est plus tout à fait un être humain, il est autre chose qui échappe au rationnel occidental.

La danse chez les grecs et notamment chez les femmes grecques fait remonter en elles la grâce et la prestance antique, réflexe atavique datant des premiers temps de cette civilisation.

On y admire le maintien de la tête, le rythme, les balancements du corps, la sérénité des déplacements, la gestuelle, tout évoque les attitudes que l'on retrouve sur les vases antiques ou sur les bas-reliefs au fronton des temples.

C'est assez remarquable de constater comment un individu plutôt pataud se transforme en un instant en un être gracile, participant à la musique, devenant son propre instrument.

À cet instant, il n'est pas simplement un instrument corporel mais devient l'incarnation d'un état d'âme.

Je revois encore cette très jeune fille, au visage ingrat, à la silhouette boulotte devenir au son du bouzouki, du clarino et des chants de Thrace, une sorte de fée aux gestes très esthétiques, aux déhanchements harmonieux. Tout cela évoquait une sorte de libellule orientale qui aurait combiné art de vivre, séduction communicative et grécité.

Une remarque cependant, ces instants magiques ne se programment pas, ils ne se décident pas, ils ne s'imposent pas, ils ne sont pas ritualisés.

Cette transfiguration est spontanée. Pour qu'elle apparaisse, il faut deux conditions : la présence de sensations très fortes (chagrin, joie, liesse, sentiment amoureux…) et le désir de sublimer, d'appeler au partage et à l'osmose. Une façon de communiquer ce que les mots ne peuvent dire.[1]

Note

[1] Texte initialement publié le 25 Juillet 2005