Parfois, il me vient un désir absurde : que la phrase que je suis sur le point d'écrire soit celle que la femme soit en train de lire au même moment.
Alors je dessine des volutes avec mon stylo sur le papier blanc, et je vois des pirouettes qui giclent comme un feu d'artifice. Une danseuse s'envole… et ma lectrice s'endort.[1]
J'y met alors tous les mots qu'elle rêve d'entendre. Je rêve et je m'envole dans un lyrisme, une poésie dont elle seule saura en apprécier la beauté. Je n'écris que pour elle, pour son plaisir de lire.[2]
Alors je lui délivre sur le papier tous les sentiments que je n’ose lui dire depuis tant d’année ; n’ayant pu trouver des mots dignes de mourir à ses pieds. Lui dire qu’elle est ma vie, mon souffle, mon âme. Le plus étrange dans ce désir serait qu’elle vienne me lire ces lignes, lovée au creux de mes bras.[3]
J'appuie fort ma plume sur le papier comme une ancre dans le sable, le vélin la boit; puis comme un djinn l'encre s'évapore doucement, parfum sucré et crayeux. Je dérive. Alors j'écris les mots qu'elle lit.[4]
À me perdre sur ces pages blanches, j'y vois son visage, ses traits apparaissent, son sourire illumine la reliure. J'ouvre les yeux et à la place de mots, je découvre le dessin de mon aimée. Je la regarde, elle rit, elle m'a compris.[5]
C'est absurde comme ces moments la, sur un quai de gare, ou tu attends de voir basculer l'instant, ou pour autant tu ne bouges pas d'un iota, tu penses encore qu'elle lit tes mots ou moment meme ou tu les penses ... et puis, tu laisses la femme monter dans le train, et tu t'en vas, penaud, courbé, déçu ...[6]
Alors je ferme les yeux, je pense très, très fort à elle et... je la vois qui frissonne, je vois un sourire naître sur ses lèvres... Plus besoin d'écrire, elle lit mes pensées à livre ouvert[7]
Et à ce moment-là, je prends conscience que ce désir est absurde.
Alors je me lève direction la cuisine me faire des pâtes et je me retrouve avec la seule réelle compagne de l'être humain : la solitude.
C'est pour elle qu'il faut écrire et par elle qu'il faut être lu.[8]
