Dès qu’elle fut partie, je fermai la porte à clef, ouvrai la fenêtre, entrebâillai mes paupières et la regardai partir dans cette rue dont je ne connaissais même pas le nom. Nous avions trop bu, trop fumé, trop fait l'amour. Une fois de plus. Une fois de trop.

Nu devant la fenêtre, je tombai presque.

Ce qui n'avait été au début qu'un jeu sensuel était devenu au fil des voyages une routine, un tue-l'amour, une habitude, une mystification qui saoûle.

Le rite était toujours identique : elle me bandait les yeux, la voiture démarrait, le voyage se faisait sans bruit. Sans mots. Seule la musique de Schoënberg. Quatuor et orchestre à cordes. Interminables. Je déteste le dodécaphonisme, mais -que voulez-vous- ça faisait parti du rituel! Elle se métamorphosait. Elle m'emmenait dans un endroit inconnu, dans une lieu mystère.

Là, dans une chambre louée, elle murmurait des mots étranges, et nous faisions l'amour avec rudesse, cruauté, tant et tant que j'en avais le vertige. Elle disait qu'elle me croquait. Enfin, ça c'est une vision gothico-hollywoodienne de la chose. La vérité c'est que cette nana m'en faisait voir de toutes les couleurs avec ses outrances, son délire mystique et ses parfums capiteux.

Maintenant, au moment où je la regarde s'éloigner et disparaître au coin de la rue, au détour de ma vie, je me dis qu'il fallait que ça cesse. Sans dispute. C'est bien.

Je suis las et sans force. Mes bras rejoignent le sol. Je me retrouve presque couché. Le parquet en pin craque un peu. Cette odeur… Mes yeux se ferment maintenant.

Ce que j'aurais voulu -mais ce n'était pas possible et c'est trop tard- c'est une vie de couple. Des danses orientales, l'odeur du narghilé, les mots qui crêpitent dans sa bouche, l'habitude des bras qui s'enroulent, les moments doux, le tic-ta du réveil qui va miauler au petit matin. Un toucan qui dort sur un divan. Une armoire en tissus.

Là, nous venons de nous quitter pour de bon. Pour de vrai. Sans avoir presque rien dit. Seulement un refus du regard. Mon reflet dans le miroir, sans écho et elle qui baisse les yeux.

La porte verrouillée. Mon esprit libre. Je sens encore ses dents sur ma gorge blessée. Une perle de sang agonise à mes pieds et forme un nez rouge sur les lattes du parquet.