Pourquoi avait-il maintenant un bouquet de fleurs à la main ? Je crois que ce devait être des roses pourpres achetées au Caire. Elles lui donnaient le côté un peu loufoque d'un gars qui sortirait fraîchement d'une analyse freudienne difficile, et qui habiterait Manhattan ? Et pourquoi, à ce moment précis, Felice, son voisin de palier, s'était-il écrié : "Hé, Paul ! Pas de pizza au caviar aujourd'hui ?"

Concours de circonstances me direz-vous ? Je n'y crois pas beaucoup. Y'avait un truc là-dedans… c'était pas net.

Et même si vous dites vrai, expliquez moi pourquoi avait-il voulu que dans trois jours, il irait voir Yolande, la couturière de la Rue Mouffetard pour acheter un sari vert pomme et un chapeau de paille italien , pour offrir à sa bien-aimée ?

La Rue Mouffetard ? La rue des petits restaurants grecs, non ?

Pourquoi était-il d'une humeur de chien à la simple évocation du chant des oiseaux-lyres, des miasmes du munster alsacien, des baies de genièvre de la choucroute et du surréalisme en acupuncture ?

Y-aurait-il un lien de causalité dans tout cela ?

Si c'est ainsi, dans ce cas :

Pourquoi avançait-il maintenant d'un pas pressé, prenant le risque de traverser la voie ferrée, alors que le feu tricolore du passage à niveaux était au rouge et qu'un hameçon gisait là, sur le sol, tombé de je ne sais quelle gibecière d'amateur de pêche à courre ?

Et pourquoi, dans ces conditions, se sentait-il l'âme d'un Léon Tolstoï qui aurait rédigé un roman de gare acheté à la va vite dans un kiosque andalou? Y-aurait-il une première explication au fait que ce roman se serait appelé "Le Chien de Luis". Simple coïncidence ? Pfff !

Difficile à croire quand même.

Plus encore :

Pourquoi avait-il englouti sottement et en une semaine, 90 125 chips au goût bacon en regardant la totalité de la série StarTrek Next Generation, vautré dans un canapé défraîchi couleur jaune avec de petites fleurs orangées? Répondez-moi? Pourquoi 90 125 et pas 90 126 ? Curieux tout de même, non ?

Quand on sait que la somme des chiffres de ce nombre est égale à 17, qui elle même fait 8, et que ce chiffre symbolise la justice, on se dit qu'il n'y a rien de bien étrange dans tout cela! Y'a anguille sous roche !

Corrélativement, pourquoi avoir hurlé de rire en lisant le mot cautèle sur la Toile et s'être entendu chantonner : "Ah ! La cautèle du gibbon aurait-elle gagné sournoisement l'atèle[1]! d'Adèle ?" Au fait… l'a-t-elle acheté au Gabon en même temps que sa vipère fluorescente de Lascaux ? ! ?

Si oui : ah bon !

Et puis, ce sabre laser, c'est étonnant sur un carnet en Toile !

Dites, pourquoi ce faisceau de lumière dans mes yeux à ce moment du récit? Pourquoi ce type en blouse blanche qui me tapote la main ? Pourquoi cette pénombre ? Pourquoi Anakin ?

Il doit bien y avoir une explication logique, incompressible, tonale et annonciatrice ?

J'espère que la vérité n'est pas qu'au fond du puits. En tout cas, j'imagine qu'elle doit se trouver à l'intérieur de ma tête. Ce ne peut être que ça… à l'intérieur de ma tête.

Même si celle-ci est un peu embrumée par l'odeur de l'encens qui virevolte, par la musique de Yannis Kotsiras et par la douce chaleur du regard des petits hommes verts qui tambourinent le sol avec leurs pieds palmés.

La vérité c'est que dans trois jours, le bonheur sera là : nous devrions être allongés sous les cocotiers. Ce ne sera donc plus qu'une image punaisée sur le mur, un poster de chambre d'étudiant, ce sera la réalité.

Oui, la vérité, rien que la vérité, toute la vérité. Je vous le jure.

L'infirmière s'approche, lui tend trois comprimés, un verre d'eau et s'en va.

Participation au jeu de Kozlika, Dis-moi dix mots (deuxième édition)

Notes

[1] singe voisin du sapajou