Sa jeunesse fut atypique, romanesque et aventurière.

Enfant issu d’une famille nombreuse, il exerça très tôt divers métiers : ébéniste, meunier, homme des champs… par soucis d’indépendance et parce que l'école ce n'était pas son truc.

À 20 ans, il partit à la guerre, enrôlé dans les Tabors Marocains, il fit parti de ceux qui combattirent mètre après mètre au Monte Cassino et qui apportèrent la liberté en Provence. Il croisa une première fois, la mort aux yeux en éclats d’obus. Il garda de cet instant un souvenir inscrit dans sa main…

Il fut soigné à Dijon dans un hôpital où avec l’irrespect qui sied aux jeunes gens, il fit croire aux infirmières qu’au petit-déjeuner, il adorait dévorer, comme le veut la coutume outre-méditerranée, des biscuits nappés de moutarde forte… Il trempa cette mixture tous les matins pendant des semaines pour faire rire la chambrée. Le monde de l'absurde et de la cocasserie au cœur d'un temps incertain.

La guerre terminée, il traversa avec sa jeune épouse La Mare Nostrum et ancra ses maigres valises à Marseille, pour des raisons que j’ignore encore à ce jour. Souhait de distance avec sa famille, anticipation, recherche d'une renaissance ailleurs… ?

Il accepta tous les boulots qui se présentèrent : docker, manutentionnaire sur les marchés des 4 saisons… tâches harassantes à faible rétribution, qui le poussèrent à chiper des salades ou des pommes dans les jardins des nantis, à quémander des os à moelle au boucher avant qu’il ne les donne aux mémères à chien-chien. En ces jours de difficulté, plus souvent que je ne puis me le rappeler, on lui offrit ici un talon de jambon, là un bout de couenne…

Puis, il devint cheminot… et cela scella son destin.

Agent de manœuvre pendant de longues années, il fut stoppé net par deux tampons d’acier qui lui broyèrent les chairs.

Cloué dans un corset de plâtre, il fut affecté poinçonneur de tickets puis agent de bureau dans les locaux de la Direction Générale de Marseille.

Durant toutes ces années, il réalisa de petites gâches le dimanche, ne ménageant jamais sa santé… pour améliorer l’ordinaire et faciliter de bonnes études pour ses petits…

Il mourrut à 49 ans, victime d’en avoir trop tiré sur son cœur, victime d’une angine de poitrine choppée sur les contreforts italiens…

Aujourd’hui, ma mère ne reçoit aucune pension militaire… et je pense au dernier regard de cet homme , regard lancé de l’entrebâillement d'une porte d’hôpital, au moment où les médecins l’avaient placé dans un lieu de repos après un infarctus de myocarde.

Je tenais à apporter ce témoignage pour mes enfants qui me liront peut-être un jour ici. Par pudeur, ces choses, je ne les dis que trop rarement, en famille… désormais, j'appartiens à un monde plus aisé… mais je n'oublie pas.

Je n'oublierai jamais.

Pour tous les autres lecteurs, je sais bien que ce texte est trop long, trop de pathos, trop peu carnetier…

Excusez-moi pour cela.