- Et si on fêtait ça ? Puisqu’il n’y en aura pas pour tous, et bien… on partagera ! lance Romuald.

Raphaël sort la marmelade de pastèques aux pignons, Luce la confiture de raisins secs aux mangues, Michel et Jeanne la gelée de groseilles parfumée à la menthe, Lulu du sirop de courges au sucre de maïs, Oncle Pierre des oreillettes à la fleur d’oranger, Jacqueline de la compote de pêches, de prunes et de rhubarbe caramélisée et Gérard un sauté de pétoncles aux navets.

L’hystérie gagne la rue entière. Une fille s’éponge le front avec un grand mouchoir à carreaux. Des effets de transparence jouent sur sa jupe qui flotte. Ses cheveux dénoués volent au vent.

Un gars hirsute ramène une clarinette et se met à jouer un air tzigane. Quelques gars attablés à un café se lèvent et se mettent à danser.

Paul sort de son cabas deux bouteilles de Coteau du Marmandais vieillis en fût de chêne, Marceline une liqueur aux poires, Jean-Baptiste un rosée de Cassis, Anne une gentiane et quelques pruneaux à l’alcool.

Une nuée d’enfants colportent la nouvelle. Des poules et des coqs envahissent la boutique. Une vache mugit.

La brave Margot ramène des rillettes de canards, des anchois de Méditerranée et du pâté de sanglier aromatisé au cerfeuil.

Romuald est abasourdi, comme sonné. Il prend la main de Dorabella. Ils rient. Elle pleure de joie en lui serrant la main. Il l’enlace.

- ça ils ne l’auront pas prévu ! lui souffle-t-il

- Les ordinateurs de Krishner ne peuvent pas prévoir tout ça… c’est comme le battement d’aile du papillon, c'est un chaos organisé !

Elle le regarde dans les yeux.

- Tu te rends compte ? Ici, quand il n’y a pas assez de pains… on fait la fête !

- T’as d’beaux yeux, tu sais.

Un peu en dehors de ce tintamarre, je repose mon stylo et place un petit bout de papier que je viens de griffonner dans la poche de mon jean.

- C’est magique cet endroit ! me dis-je.

- Bah ! C’est ainsi, si tu veux de la truculence, du carnavalesque et de la vie… tu l’inventes, et c’est tout, me répond un type un peu obèse

Romuald et Dorabella s’embrassent, et s’éloignent.

Je les regarde du coin de l'œil.

- Putain, que c'est beau la vie !

Je sors un calepin spiralé.