Vincent notre gros poisson est désolé. Il n'a pas reconnu tout à l'heure Charlie dans sa chocolaterie. Et ce n'est pas la première fois que ça arrive ! Il perd la boule ! C'est tristement marrant. Un peu comme si les noces étaient funèbres ou s'il habitait sur une planète de singes. Enfin, habiter une planète peuplée d'animaux, ça le tenterait bien… ça… Encore que ! Les animaux ça pensent, non ? Enfin ! ça a l'air de réfléchir parfois ! Penser, ça lui fait peur. Ici, tout autour, il ne voit que des gnomes, avec des casques rivés sur la tête qui crient "Banzaï !", qui hurlent "Mars Attack !" Lui, il n'a pas de tête, pas de mémoire… rien… rien… Il n'a pas l'étoffe d'un Ed Wood, ni les pouvoirs d'un homme chauve-souris. Ce n'est juste qu'un gros poisson. Sa mémoire est trouée, tailladée aux ciseaux… Dans ses mains point d'argent ! Il mendie un peu d'air. Il mendie de l'air des poumons… de l'air bleu. Vous me direz que Charlie s'en moque un peu de tout ça. Charlie, et son copain Pee Wee sont inséparables… alors… Vincent… bof… c'est un peu comme s'ils regardaient Beetlejuice sans avoir vu le début… par défi. Vincent, pour eux, il n'existe pas. Il n'est rien de moins qu'une nuit d'absence éclose. Une ombre qui glisse dans le lac. Dans cette affaire, seule la Lune reste pensive. Elle le regarde respirer. Il la regarde toute petite dans la clarté sombre. Il tend parfois vers elle, ses doigts noueux, ses doigts de souche sèche… Il tend la souche, il tend les doigts. Ou les deux à la fois. Pour la saisir… On ne sait pas. Pour l'emprisonner ou l'apprivoiser. On ne sait plus. Il hume le vent. Elle murmure un mot étrange, un mot laiteux : "Frankenweenie". Il n'en saisit pas le sens. Mais il respire. C'est quand même ça l'essentiel. Respirer. Seulement respirer hors de l'eau. Comme un palmier qui s'ébroue.