L’homme avait un visage ingrat, un corps malingre et une belle âme qu'il noyait parfois dans un ballonnet de vin rouge.

Il possédait un pif trop gros, des escoutilles dépareillées, un fronton balourd. Il était triste. Et il avait l'alcool triste. Si triste qu'il s'y noyait.

Pourtant son âme était liqueur, ambroisie et miel de lavandes. Il était poète à ses heures violettes, rêvait de Baudelaire, de Rimbaud, de Prévert et des couelurs des voyelles, bleue, rouge ou violette comme la mixture qu'il absorbait le soir.

En cela, Jo était beau… je ne dirais pas qu'il avait le corps beau mais il avait l'âme belle.

Tout le quartier l’appelait Jo le laid, parfois même Jo Laid

Les mômes hurlaient :

- Hou ! Regardez, messieurs dames… voici Jo Laid ! Voici le vilain ! Le pas beau… le nabot ! Le minable !

Lui, avançait et regardait le sol comme un pantin cassé, disloqué par ces railleries inutiles, ces enfantillages d'un autre temps…

Il regardait le sol et rêvait. Il n'entendait plus… Il rêvait.

Hier, un pâle rayon de soleil dans sa vie morose… un papillon de nuit… une luciole… une fontaine d'eau fraiche…

Une vieille connaissance, fiancée des premiers soirs, le rencontra par hasard dans la rue. Par hasard ? Allez savoir ! Je ne suis pas certain que le hasard soit à ce point non fixé dans la vie ! Allez ! Continuons ce récit…

Ils prirent un café dans un bistrot de quartier.

- Alors Jo, qu’est-ce que tu deviens ?

- Bah ! Comme avant ! Ni plus, ni moins ! Les gens se moquent de moi, toujours…

La fille regardait le visage de l'homme. Elle devinait ce qu'il y avait derrière son crâne.

- Ne les écoute pas. Tu es beau (elle pointa son index vers son front) de là ! Qu’importe les apparences !

- Ils m’appellent Jo laid, tu te rends compte ?

Elle approcha ses mains des siennes, en fit comme une coupe.

- Pour moi tu restes le Beau Jo laid, tu le sais, hein ?

Il rougit. Il sentait la banane qui ourlait son visage.

Elle trouva que son silence avait un goût de fruits mûrs. Elle le trouva à son goût.

Ils prirent plus tard le trolley. Ils étaient dans le trolley. D'aucuns pensaient qu'ils était trop laids !