Ce matin encore, ma séance de jogging s'est mal passée… J'ai pu trottiner sur 10 ou 15 mètres… Le souffle coupé, des nausées qui me défiaient… Une pointe au creux de l'estomac, les jambes qui ne soutiennent plus cette grande carcasse un peu fatiguée.

Je me suis écroulé dans l'herbe humide du Parc aux canards et aux ginkgos. Les bras en croix. C'est confortable. Je respire avec difficulté. J'entends les jets d'arrosage qui valsent un air de festival… 1,2,3… 1,2,3…

Je regarde le ciel bleu… Au loin, un petit nuage floconneux… comme un chamallow… Un regard d'enfant… Des rires… Des pas rythmés… Chronomètre dans l'œil… Et moi allongé sur un immense transat, façon microcosmos…

Me voilà maintenant en train de monter péniblement le petit raidillon qui mène à la clinique où je dois passer un électrogramme sous effort… C'est mon marathon, mon triathlon… Mon cinquante kilomètres marche… Je porte la flamme… Je dois allumer la vasque…

Je n'y arrive pas. Des suées froides, le souffle coupé, le teint livide. Je n'y arrive plus. Je serre les dents. Quelqu'un va-t-il me tendre un citron coupé en deux, une éponge fraîche, une barre de céréales ?

Le cardiologue me demande de pédaler puis arrête brusquement l'examen. Il s'affole.

Cela a duré quelques secondes… Il se précipite sur l'interphone et demande un brancard. Il est très nerveux… Ma valise est prête… Les billets du bateau dans mon portefeuille… Je vais me reposer…

Je regarde l'écran du moniteur… sur lequel les cardiologues visualisent l'intérieur de mon cœur… L'artère est obstruée à 95%… C'est sans doute le grand dénouement, le repos éternel…

Pour le coup, je vais me reposer, c'est clair.

À cet instant précis, je ferme les yeux… Et je me trouve sous le figuier de Delphes… Je contemple cette langue de forêt d'oliviers qui lèchent la Mer Égée… Les cigales me rassurent… Ta main est dans la mienne… Nous sommes bien. j'ai couru sur la piste du stade antique, nous avons admiré l'aurige… Nous avons gravi le sentier… Bu un peu d'eau fraîche…

Aujourd'hui, je suis encore là-bas quand je regarde dans ma tête : sous le figuier de Delphes, face à la Tholos… Les clochettes des chèvres qui broutent l'origan… Le sifflet des pâtres… Je suis encore là-bas.