La première fois que j'appris à contempler Orion fut lorsque je séduisis Léa. Jusqu'à cette nuit, je connaissais bien sûr La Grande Ourse, Cassiopée et L'étoile Polaire mais pas la rouge Bételgeuse, Bellatrix, Rigel la bleue, Saiph ou encore Alnitak, Mintaka et Alnilam !

Cette fille m'avait rendu fou avec sa peau abricot , ses seins en forme d'agenda que l'on feuillette au doigt mouillé, et ses tongs si profilées et ténues, que l'on eut cru qu'elle marchait pieds nus.

Un soir après le repas, nous parcourûmes la plage, recherchant la fraicheur de la mangrove et les senteurs épicés des racines immergées.

J'en étais à lui caresser les mains lorsqu'elle me demanda de lui chanter "Te Quiero" de Yannick Noah en la déshabillant du regard. Réflexions faites, il me parut plus opportun de procéder à l'effeuillage de la fougueuse avec la très adaptée gestuelle horlogère suisse. Je fixai à mon œil droit une loupe à forme de monocle.

Je devenais ainsi un garde-temps.

Bien franchement, et que cela reste entre nous, je vous concède aussi que je fus séduit par cette proposition quelque peu loufoque, au rituel mystérieux et chargé de sensualité.

J'étais à l'époque souple comme l'iguane, et je tâtais un peu le ukulélé. En amateur éclairé. Je ne craignais donc pas le ridicule.

Je réfléchissais aux paroles de cette chanson quand elle se jeta sur moi et m'embrassa tel le professeur de latin qui apprend les déclinaisons à son élève favori. Avec rigueur et application. Elle mettait à profit talentueusement une pédagogique lascive, sa bouche contre la mienne, encastrant son corps devenu liane. C'était tendre et un peu irréel. C'est sûr, je pestais à cause de ce foutu ukulélé qui nous gênait dans nos ébats mais "Te quiero" devait être exécuté ainsi et l'instrument était à mes yeux une obligation tellement évidente !

Me souvenant de mon désarroi à me perdre dans à peu près n'importe quelle situation, j'enclenchais alors par prudence -et sans qu'elle le voit- mon GPS -fixé à l'époque sur les papilles de ma langue- histoire de ne pas me perdre dans sa cavité buccale oblongue et labyrinthique.

Nous fîmes l'amour longtemps, de manière poétique : ici une rime riche avec un petit suçon tout câlin, là une hémistiche en lit de Procuste, là encore un haïku de caresses alanguies, plus tard un jaillissement en forme de sonnet. Bref, nous étions bercés entre musicalité des mots, élégance des gestes et emphase des pulsions.

Je me réveillais dans mon lit Epeda épais de 25 centimètres, en position face été, avec le sentiment diffus de rentrée des classes. Avais-je préparé mon cartable et ma trousse à stylets ? Connaissais-je l'amphithéâtre où devait se dérouler le premier cours ? J'avais les cheveux ébouriffés et le sang qui bouillait. Et comme on dit "Le sang bouillu, café foutu" !

Je ne me souvenais plus de rien. Mes vacances étaient lointaines ! Le stage Érasmus ? Seule cette rencontre… Avec une fée et Léa encore là, à mes côtés qui me dévisageait dans un sourire ravageur.

Je saisis mon ukulélé et elle me demanda de lui chanter à nouveau "Te Quiero" jusqu'à la phrase "C'est je t'aime mais juste un peu plus fort".

Le livre Les amants étrangers de Philip José Farmer était toujours sur ma table de nuit.

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