Aujourd'hui, c'est le troisième jour après notre rencontre de dimanche. Qu'est-ce qu'elle est belle ! Un truc à mourir de honte rien qu'à me regarder dans un miroir ! Je l'aime à en faire palpiter mes pas sur le sol.

J'aime tout en elle : ses pulls, ses fossettes, sa façon de se tourner, sa manie de regarder sa montre, ses yeux rieurs, sa frange oblique, son odeur mentholée. Enfin, en un mot comme en dix : je suis amoureux.

J'entre au "Old Man in The Dark", cette nouvelle taverne irlandaise qui vient d'ouvrir au coin de London Bridge et d'Abbey Road. (J'ouvre une parenthèse : Drôle d'endroit pour un rendez-vous amoureux, je sais. Je referme la parenthèse)

Ici la musique est trop forte et les filles aux seins nues, j'avoue que ça casse un peu le romantisme.

Il doit être midi, midi dix peut-être. Je ne sais pas. J'aime pas regarder les aiguilles du temps. Je me fie à mon instinct temporel. Dehors,le soleil tape rude et je suis essoufflé d'avoir couru. Je tousse un peu.

À l'intérieur, des volutes de fumées masquent le visage des gens. Une odeur âcre de tabac que l'on chique et le tintement de verres qui se cognent sans ménagement. Les types savourent la victoire sur l'équipe de France. Ah ! S'ils avaient marqué un essai dans les cinq dernières minutes ! Que des rigolos ces joueurs de rugby ! Remarquez, en définitive je suis assez content qu'ils aient perdu, surtout pour le coup de non pub que ça va faire au gars nerveux cravaté dans la tribune d'honneur que la télévision nous a bien montré en train de chanter l'hymne !

Je m'approche à tâtons du zinc. Un gars hirsute, mal habillé, me dit, d'une voix rocailleuse qui transpire l'accent du Middle-Ouest et l'alcool du Haut-Doubs :

- Eh ! Tarzan ! T'as encore raté Jane ! Elle était là, y'a environ une dizaine de minutes ! Il sourit laissant apparaître des dents noirâtres couvertes de goudron de nicotine. Je pense aux vestiaires du match. Pourquoi je pense à ça ? Aucune idée !

Les gens se marrent et chantent leur victoire. Ah ! La perfide Albion nous aura encore fait mordre la poussière !

C'est fou ce que les gens sont souriants, dans cette région !

Je ne comprends pas. pourquoi ils continuent de ricaner en me pointant du majeur et en éructant des mots qui se terminent un peu comme Hulk… Comprends pas le lien avec ce monstre de bande dessinée.

Il est midi quinze à la pendule d'argent, celle qui ronronne dans la taverne qui dit oui qui dit non, qui dit : je t attends.

Je les regarde. Ces types ne rêvent plus. Je crache par terre, comme ça se fait ici, et je lance un juron en inuktitut. Ils ne l'ont pas volé celui-là !

Je sors bras dessus bras dessous avec ma solitude. Elle est belle comme une déesse maya.