Il y a 5 ans j'étais un grand manitou d'une tribu apache née au-delà de la grande étendu d'eau que l'on appelle Mare Nostrum. Née d'un rêve de neige, cette tribu avait la particularité d'être composée de personnes qui regardaient l'horizon sans ciller des yeux et attisaient les flammes de la passion par simple contact de leurs mains palmées sur les galets.

J'habitais un tipi à ossature de roseaux qui comportait un feu au centre de la pièce et une paillasse en macramé. Ce lieu était en permanence alimenté par des écrits qui brûlaient en dégageant des fumerolles de bien-être, il exhalait l'idée du bonheur, une certaine idée du bien-être. Du bien vivre.

À cette époque, la prairie pouvait se couvrir en un clin d'œil de troupeaux de ouaibisons, majestueux et paisibles, de loups filaires ou de coyottes toileux. Il y avait aussi des pixels flous qui nous pourchassaient et faisaient parfois déglutir nos plus jeunes. Nous les attrapions grâce à des pièges linguistiques et nous nous en régalions, grillés sur les braises et aromatisés de romarin et d'espigoulette. Je parle ici de l'espigoulette verte car la jaune est trop sucrée et pas suffisamment forte en bouche.

Je me souviens de nos visages ornés de tatouages à la craie blanche, au fusain et à la fiente séchée et aromatisée des faucons à tête émeraude.

Le Grand Esprit veillait sur nous.

Et puis, il y avait aussi les cris joyeux des jeunes papooses, le chant des sorciers renifleurs de pluie, les rires des guerriers emplumés, et le tapotement chaotique des tambours. Par-delà les discussions des amazones à la beauté luxuriantes roucoulait un sifflement de flèches et de pas martelés chevalins.

Autour du totem à tête de Pérec, orné d'œufs résolument absents, de palimpsestes, d'anagrammes, de maux emmêlés et de lipogrammes improbables, nous dansions le soir, ivres de partager les phrases magiques, les idées sur la transhumance des mots écrits, en extase devant un jeu d'écriture ou une tablette d'argile gravée. Nous buvions de l'eau de mots, du suc de métaphores, du jus de rimes. Nous implorions la pluie du partage pour qu'elle joue son rôle de faiseur d'imaginaire. Nous discutions sur la mise en ligne des lettres le long du cours de notre rivière. Nous pêchions des idées à l'insu de nos propres paroles, chacun notre tour. Les concepts tournoyaient.

Il m'arrivait en ces temps éloignés de badigeonner mes mains de graisse pour interroger les entrailles d'un forume tué avec rituel. C'était, ce que nous appelions, l'envers du décor, lieu coloré, chaleureux où le Grand Conseil pouvait parler avec respect tout en promenant à la ronde un calumet empli d'herbe qui fait rire, ou d'un bouillon de pot-au-feu (mais c'était beaucoup moins marrant). Cela sentait bon. Cela glougloutait.

Nous évoquions alors l'avenir de notre tribu, son nomadisme permanent, sa joie de vivre, ses enfants à venir, ses unions avec d'autres clans, son indépendance, sa qualité d'être unie par une même recherche spirituelle.

Vous dire que je suis heureux et fier que cette tribu continue son chemin dans l'esprit des ancêtres, est une évidence.

Heureux qu'elle continue à perpétuer l'idée de l'envol, avec respect. Envol de sortilèges et de filtres magiques. Elle demeure à jamais le gardien du totem.

Emblème orné de plumes, d'encre et d'imagination.