Voyager en bateau c'est d'abord comprendre que le temps passe lentement. Une sorte de temps africain comme aimait à le décrire Théodore Monod. C'est regarder les vagues qui vivent, enflent, disparaissent, dessinent des dunes d'eau et se modèlent à l'infini.

Ensuite, c'est observer l'écume telle une sève donnant de la force à l'étrave du navire.

Enfin, c'est fainéanter sur l'opendeck.

Ce lieux mérite une petite description.

Ici, il faut imaginer des gens qui bronzent, allongés sur le sol, assis sur des chaises en plastique blanc, vautrés sur des transats, d'autres qui observent les premiers ou qui lisent des magazines en anglais, en allemand, en néerlandais, en français ou en grec. Les pages claquent au vent. On lit à plat ventre, livre à côté, main posée en marque-page, regard décryptant désespérément les caractères imprimés. Franchement, lire dans ces conditions, relève de la performance de cirque, ou nécessite l'acuité d'un regard d'extra-terrestre. Plus loin, des éclats de rire et des éclaboussures de gaieté fusent de la piscine. Des tas d'enfants s'amusent à plonger, des hommes corpulents font admirer leur torse velu, des nymphettes glissent dans l'eau pour mieux retourner bronzer, à l'occasion pour être admirées par les jeunes hommes (et des plus âgés aussi), pour faire admirer leurs courbes, leur hanche, leur mini maillot et l'arrondi de leurs seins, des parents satisfaits et vigilants lancent des bouées à de jeunes enfants qui s'activent à des jeux idiots. Des hauts-parleurs brumisent l'air d'une ambiance de zeimbekikos ou de mélodies où le bouzouki est omniprésent. Tout cela est joyeux.

Quelques personnes assises autour de la piscine sur un rebord de bois brun, ricanent en se grattant les jambes, en fixant une bretelle ou en s'éventant calmement.

Un gars , sosie parfait d'Anakin SkyWalker, casquette jaune sur la tête, short délavé, promène une mélancolie à faire pâlir un Sith en proie à la rédemption. Le gars va et vient, le regard bleuté, sans étincelles et les cheveux moutonneux comme les vaguelettes qu'il dévisage nonchalamment.

Et puis, il y a moi, les oreillettes d'un iPod vissées sous une casquette "Phaïtos", écoutant Alain Souchon qui chante "Rame, rame, rameur, ramé... on avance à rien dans c'canoë, là-haut on t'mène en bateau, tu pourras jamais, tout quitter, t'en aller, tais-toi et rame, rame, rameur, ramé… "

Enfin, plus tard, escale à Corfou, dans la nuit grecque, où la lune a surgi de derrière une colline comme pour dire qu'elle règne toujours sur un firmament hors du temps. C'est un immense visage laiteux qui monte et descend dans le ciel au rythme de la houle.