Je dis ça parce que quand nous ouvrîmes nos blogs, nous découvrîmes un monde qui nous convenait bien. C’était bon enfant. Les textes fleurissaient, les volutes de mots s’envolaient au gré des ondes pixeliennes, les cheveux étaient ornés de fleurs. Dans cet brouhaha informel, une petite voix musicale disait Me Xehase I agapi Mou…

C’était le Blogue Bang créateur. Nous étions au centre du phénomêne. Tout chancelait autour de nous. Nous observions le reste de la galaxie avec nos simples yeux. Nous pensions être des aimants qui rayonnent[1]? Nous pensions qu'en tant qu'aimant, ce "aimons nous les uns des autres" était une force magnétique qui ne déformerait pas notre environnement immédiat.

Au fil des ans, nous comprîmes que la plupart des internautes écrivaient pour être lu(e) s avant toute chose. Ils étaient pré-galiléens par nature. Même s’ils s’en défendaient. Ime Sto Molo.

(Un gars jovial compulse un dictionnaire de grec)

On se mit à collecter ici des bonbons, là des commentaires, on lançait des blog-fights, des jeux, des surprises… On générait de l’audience de vie.

("Tu me passerais un peu de typex ? Je me suis trompée sur l'orthographe du nom du gars, j'ai mis un o à la fin ! Pffff !)

C’était un temps où les internautes blogueurs vivaient isolés des autres. Leurs seuls outils étaient un clavier, un écran et une souris avec fil. Et la nudité des doigts.

("Pourquoi tu ne me passes pas ton typex ?")

À cette époque préhisblosphérique, le blogosapiens était concentré autour de sa personne. Il aimait le compliment. Il chassait le frisson avec une lance et une vachette à cortex pointu.

Progressivement les réunions se mirent en place, une communauté naquit entre des personnes qui se connaissaient de plus en plus hors de la grotte. La tribu se hiérarchisa. Un capitaine ici, des fées là, des sorcières, une anarchiste plus loin, des modeleurs de fruits cuits, des graveurs d’images sur glacis, des êtres au langage codé, des guiquelets pique-niqueurs et de charmantes dgiquelotes au ventre rond et au nez qui brille.

("M’en fous… J’ai retrouvé ma gomme !")

Des lustres étincelèrent dans la forêt humide. Des lustres et des lustres. Le temps passa. L’ère de la blogosphéricité quantique émergeait le long des vallées et des sombres plaines.

On comprit alors que les liens qui se tissaient entre eux étaient comme des cordes entre plusieurs mondes. Des mondes parallèles qui se juxtaposaient et s’entremêlaient.

Le blogueur n’était pas le centre de la Toile. Il était perdu dans des amas globulaires et des méta-données. Il n’avait jamais été le personnage principal, il n’était que l’accessoire du Coloriste. Il apportait la substance, le rythme mais n’était pas l’élément créatif. Son illusion était tout entière contenue dans son nombril[2]

("Tu fais quoi après ? On prend un café ?")

Il n’était qu’un homme qui hurlait dans le néant, La Grande Oreille qui ne recevait que l’écho du bruit ambiant. Ime Sto Molo.

("D’accord")

("J'ai rien compris du tout à ce qu'a dit le vioque, mais je trouve que tu as de beaux yeux et ça me plait bien")

("J'te file mon pseudo ? On s'papote un de ces soirs ?")

("Pourquoi pas")

Notes

[1] du verbe aimer

[2] Son nom brille-t-il ?