Je n’ai plus l’habitude de travailler en entendant des sons humains autour de moi. Pourtant j’ai été souffleur à l’Opéra, crieur au Pont de l’Alma, forain et même représentant de commerce. C’est dire si le tumulte au boulot ne me gênait pas du tout. Je dirais même mieux, ça me stimulait… À l’époque, je vendais des gadgets, des objets ridicules que l’on manipule avec frénésie, j’aimais déambuler le long des voix ferrées, j’habitais Montgeron, et je passais mes nuits à raccompagner de belles savonneuses (avec ou sans alliance) quelques peu émêchées. Bref, j’aimais vivre entouré de bruits, de monde et de belles filles fessues, fastueuses, furibardes et festoyeuses.
Et puis je t’ai rencontré. Tu étais mince, grande et mélancolique. Tu n’aimais que la solitude avec moi. Les chansons tendres. Le soja. Les pissenlits. Le brou de noix. Les os de seiche. Le petit lait. Les radis. L’eau.
Plus d’amis, notre amour suffisait. Plus d’éclats de voix, quelques cliquetis de roues dentées, un ou deux craquements de bois, un chat qui miaule. En un instant, tu m’as appris à travailler dans ton ombre, à me glisser sur ton corps froid, à respirer ton souffle glacé. Désormais, je tisse des écharpes, m’adonne au macramé et je cuisine pour nous des aliments bouillis et filandreux. Oui, je peux le dire, j’ai trouvé la plénitude des gestes comptés. L’isolement du silence. Le travail en solo avec toi.
Seule ta faux me gêne parfois, elle est trop aiguisée et encombre le corridor. Mais ce n’est qu’un détail.