[1]

Aujourd'hui je mesure avec une grande acuité, les difficultés que rencontre ma mère dans son évolution cognitive.

Ses mots sont totalement incohérents, "sans queue ni tête", sans logique, elle ne me reconnaît plus du tout et ne me suit plus pour la ballade de son propre chef. L'aide du personnel pour l'amener vers moi est très utile.

Alors, je lui fais prendre mon bras et nous avançons dans le parc. Démarche titubante. mais sans recours à un fauteuil.

Dans ces moments, je reste très concentré sur ses mots, pourtant sans aucun sens. Pour moi, il y en a peut-être un. J'essaie de le décrypter comme un texte oulipien où les mots seraient mélangés, les lettres omises, les idées en filigranes… Ici ce n'est pas la lettre e qui manque, ce sont toutes les lettres qui sont à égalité, un peu comme de la musique sérielle, atonale.

Et parfois, le sens est là. Évidemment, un profane n'y comprendrait rien mais des bribes de son passé émergent. Je relance un peu.

C'est une épreuve pour moi mais je dois rester concentré et sérieux à l'écoute de ses paroles désincarnées. Je hoche de la tête, m'intéresse au non sens , l'écoute en la regardant bien dans les yeux.

Son regard s'apaise un peu. Elle ne cesse de parler. Elle existe encore un peu même si elle s'affaiblit terriblement et quitte ce monde du sens, des évidences et de la réalité.

Note

[1] Quels mots pour décrire un tel paysage ? J'imagine souvent ma mère qui le décrirait avec son langage d'aujourd'hui, c'est comme ça que je peux encore l'écouter de son autre monde