Encore une très belle surprise au Théâtre de la Criée de Marseille où j'ai pu assister à la lecture de la pièce intitulée "Le Bleu du Fiel" d'un auteur que je ne connaissais pas, William Radet.

Le texte est drôle comme je l'aime, des jongleries de mots et beaucoup de consistance. Il sert un propos sérieux.

On y entend de belles trouvailles comme "L'Enfer me ment" et la salle sourit souvent.

Ce qui était original c'est que ce texte était mis en scène pour la première fois et que l'auteur était présent dans la salle. Semble-t-il, nous a-t-on dit à la fin- il découvrait la mise en scène et le jeu des acteurs. Intéressant à plusieurs titres.

Pour maîtriser l'effet surprise, le théâtre avait caché sa présence, du coup les spectateurs ne se sentaient pas bridés ou gênés par le regard de celui-ci. Tous les spectateurs ? Non.

Mon épouse et moi-même avions pu intercepter la révélation de son identité à l'entrée, puisque nous trouvant juste derrière l'auteur et la personne qui l'accompagnait, nous l'avions entendu révéler discrètement son identité à la réceptionniste. Comme quoi il est parfois difficile de rester anonyme.

Par ailleurs, j'avais remarqué la présence d'une petite caméra que seul l'auteur détenait. Il avait sans doute eu l'intention de filmer sa pièce. Mais il n'a pas osé le faire (et je le comprends, cela n'est pas évident à l'heure des incantations contre le piratage de sortir une caméra et de filmer allégrement un spectacle, pour le coup, il se serait fait sacrément remarquer !).

J'espère que le Théâtre a peut-être enregistré la lecture et s'il ne l'a pas fait c'est vraiment dommage.

Revenons à la pièce.

Le texte sert un propos sérieux et sociétal : les rapports qui se nouent dans le couple et l'usure de tout cela dans le temps immoral et transgressif. La thèse défendue est que l'amour n'est pas éternel et que s'installe au fil des années des rapports d'habitude qui se muent en lassitude, en éloignement, parfois en rupture. De tout, ou partie du duo.

Vous dire que je ne suis pas d'accord avec le propos est sans doute une évidence pour qui a l'habitude de me lire, cela dépend de tant de choses ! Une généralité ne vaut que par ses singularités subversives que sont les contre-exemples. Tout cela reste évidemment dans l'air du temps. Beaucoup zappent leur vie, utilisent leur propre vécu comme de simples marchandises périssables, sautent de branches en branches et désavouent leur propre idéal.

Au delà du propos, le texte est ciselé, et m'a rappelé les trouvailles textuelles d'un Queneau ou d'un Devos. C'est chatoyant et original.

Imaginez sur scène, deux personnages : une femme et un homme.

Lui est enfermé dans des souvenirs qu'il ressasse comme une vieille personne qui regarde des clichés révélés, ou des cartes postales surannées; reflets de propos insignifiants ("Beau Temps, nous passons de belles vacances… "), de personnes oubliées, disparues ou mortes, mais qui au fil des ans deviennent des souvenirs modelant un temps et agglutinant des sentiments les plus divers sur sa propre existence. Des clichés réinventant les émotions, les sublimant même pour n'en retenir qu'une idéalisation.

Elle, l'a quitté. Elle est lucide sur le passé. Lui, s'enferme dans une malle comme pour échapper au monde et s'en dégager. il est décrit comme une sorte de fou, elle s'auto-proclame empreinte d'une vérité révélée. Mais est-ce la vérité ?

Les deux comédiens furent éblouissants : Anne Lévy et Michel Pannier surent manier la langue et l'intention avec justesse et talent.

Il faut imaginer que ces deux-là ont mis en place les mots en l'espace de très peu de temps. Sans doute pas quelques jours comme l'a dit Michel Tournaille, mais plus vraisemblablement quelques semaines seulement. D'où d'ailleurs l'intérêt de ce type de forme théâtrale. C'est très vivant, parce que les comédiens ont "physiquement" en main le manuscrit (qui apparaît maltraité par les séances de répétitions ou les gestes d'apprentissage), et l'on peut ainsi toujours ramener les mots écrits au langage parlé et à l'intrigue. C'est magique si proche de nous parce que ça met en valeur la démarche de la scène, les mots de l'auteur et la retranscription des comédiens. Ceux-ci deviennent alors un élément central de la création puisqu'ils ont toujours le support de l'auteur sous les yeux, celui-ci ne quitte jamais l'œil du spectateur. Le manuscrit fait partie intégrante du décor qui stigmatise le théâtre sans l'étouffer puisque évidemment à un moment ou à un autre on en oublie ce support pour n'être plongé que dans les mots et la mise en scène (oui, il y a une mise en scène dans ces lectures sur scène)

À la fin du spectacle, il y eu une petite discussion entre l'auteur et le public.

J'ai échangé quelques mots avec l'auteur sur son blog, je vous recommande ce site. C'est très intéressant.

J'ai noté également qu'il a écrit des romans, je vais m'y essayer bientôt et vous en reparlerai sans doute.