Ce soir-là, j'avais été attiré dans cette rue sombre, un peu par l'odeur de fruits frais et de fleurs aromatiques, un peu par ma déserrance du moment…. C'était -autant qu'il m'en souvienne- un mois de Janvier. La journée avait été difficile, âpre et atone et je marchais sans but. Chinatown était loin, avec ses lampions, son goût d'alcool frelaté et ses devantures colorées.

Deux ou trois pintes d'heures auparavant, j'étais entré dans ce que les autochtone nommaient un pub islandais avec vitrail et tout le toutim. Dans quel but ? Je ne m'en souviens même plus ! La soif ? L'envie de voir du monde ? Le besoin d'aller aux toilettes ?

Une femme à l'allure imprécise chantait, s'accompagnant d'un banjo et de grelots qu'elle portait comme on s'habille pour un réveillon. Avec angoisse et commisération.

Des gars l'observaient du coin de l'œil, un peu blasés, un peu à l'ouest aussi Son allure imprécise provenait essentiellement de sa coiffe. Un chapeau avec voilette que surplombait un toucan multicolore. L'oiseau savait hennir et sifflait parfois la tierce pour assurer le contrepoint de la demoiselle.

Un des gars du bistrot, vêtu d'un kilt ajouré, jouait aux fléchettes et manqua de blesser un vieux type qui fumait un tabac âcre à l'aide d'une pipe à cheminée étroite et recourbée. L'engin avait été -j'imagine- confectionné à partir du bec d'un oiseau marin. Peut-être une sterne ou une goélette islandaise… Mais je ne suis pas très bon observateur sur l'espèce des oiseaux marins, comme on peut s'en douter, encore moins lorsque ce sont des piafs islandais. D'ailleurs je me demande au moment où je vous écris chère Pauline, si une sterne est bien un volatile islandais. Ne s'agirait-il pas plutôt pas d'une bestiole finnoise ou comorienne ?

Bref, Je sirotais une ale aux goûts amers,

Ce soir-là, j'avais eu ma dose de contrariétés. D'abord, une sorte de jeu de dupes autour de Piccadilly : un pas de côté, un air de flamenco et une bande de jeunes éméchés et violents. Le quotidien pour un unijambiste comme moi.

Puis il y eut cette danse du scalp autour de Rebecca. Une nana aux yeux verts et à l'intelligence abrupte.

Je ne comprenais pas que l'on s'en prenne à cette donzelle élégante et studieuse. Cela me contrariait beaucoup.

En même temps, Marc-Antoine me faisait remarquer, qu'elle était un poil parano. Comment pouvait-elle imaginer un seul instant que la Reine l'avait toisée du regard à cause de ses collants couleur abricot. La Reine avait autre chose à penser ! Et ses collants étaient couleur prune. Donc Marc-Antoine n'avait peut-être pas complétement tord. Enfin ça, c'est aussi le problème de Marc-Antoine avec cette fille qu'il n'ose approcher à cause de ses jambes… Moi ce que j'en dis… Ton avis Pauline ?

Pour ponctuer le tout sur cette journée harassante, il me faut te raconter ce long monologue universitaire sur la nidification des chauves-souris !

Franchement, la nidification de l'animal, on s'en foutait un peu ! Et puis, le conférencier avait cru bon d'ajouter un fond sonore à sa causerie en plaçant aux endroits énigmatiques de son récit, des extraits de la chanson de Thomas Fersen et surtout, faute de goût suprême, des entrechats issus de "Osez Joséphine" de Bashung. Le gars était spécialiste des chauves-souris mais il était lourdeau pour ce qui concerne la musique ! Bashung n'est pas un musicien pour arsenic et vieilles dentelles ! Encore moins pour chiropteras en mal de maternité !

Voilà donc pourquoi je me trouvais ici, près de cette maison étrange, attiré par des fragrances envoutantes et médusantes…

La lumière m'incitait à entrer… On entendait "Yesterday" à la guitare acoustique… Devais-je entrer ? Pauline, qu'aurais-tu fait à ma place ?

Best regards,